Différences entre les versions de « Emil Cioran »
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« '''La liberté est un joug trop lourd pour la nuque de l’homme.''' Même pris d’une terreur sauvage, il est plus assuré que sur les chemins de la liberté. Bien qu’il la considère comme la valeur positive par excellence, la liberté n’a jamais cessé de lui présenté son revers négatif. La route infaillible de la débâcle est la liberté. L’homme est trop faible et trop petit pour l’infini de la liberté, de sorte qu’elle devient un infini négatif. Face à l’absence de borne, l’homme perd les siennes. ''La liberté est un principe éthique d’essence démoniaque.'' Le paradoxe est insoluble. | « '''La liberté est un joug trop lourd pour la nuque de l’homme.''' Même pris d’une terreur sauvage, il est plus assuré que sur les chemins de la liberté. Bien qu’il la considère comme la valeur positive par excellence, la liberté n’a jamais cessé de lui présenté son revers négatif. La route infaillible de la débâcle est la liberté. L’homme est trop faible et trop petit pour l’infini de la liberté, de sorte qu’elle devient un infini négatif. Face à l’absence de borne, l’homme perd les siennes. ''La liberté est un principe éthique d’essence démoniaque.'' Le paradoxe est insoluble. | ||
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« '''Plus elle [la Russie] deviendra forte, plus elle prendra conscience de ses racines, dont, en une certaine manière, le marxisme l'aura éloignée ; après une cure forcée d'universalisme, elle se rerussifiera, au profit de l'orthodoxie. Du reste, elle a marqué d'une telle empreinte le marxisme qu'elle l'aura slavisé. Tout peuple de quelque envergure qui adopte une idéologie étrangère à ses traditions l'assimile et la dénature, l'infléchit dans le sens de sa destinée nationale, la fausse à son avantage, au point de la rendre indiscernable de son propre génie.''' » | « '''Plus elle [la Russie] deviendra forte, plus elle prendra conscience de ses racines, dont, en une certaine manière, le marxisme l'aura éloignée ; après une cure forcée d'universalisme, elle se rerussifiera, au profit de l'orthodoxie. Du reste, elle a marqué d'une telle empreinte le marxisme qu'elle l'aura slavisé. Tout peuple de quelque envergure qui adopte une idéologie étrangère à ses traditions l'assimile et la dénature, l'infléchit dans le sens de sa destinée nationale, la fausse à son avantage, au point de la rendre indiscernable de son propre génie.''' » | ||
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« S'insurger contre l'hérédité c'est s'insurger contre des milliards d'années, contre la ''première'' cellule. » | « S'insurger contre l'hérédité c'est s'insurger contre des milliards d'années, contre la ''première'' cellule. » |
Version du 24 août 2019 à 13:02
Citationes
« La Russie et l’Espagne : deux nations enceintes de Dieu. D’autres pays de contentent de le connaître, ils ne le portent pas en eux. »
« Ce qu’il y a de plus sain et de plus pur dans la vie n’est qu’une apothéose de l’éphémère. L’éternité est une inépuisable pourriture et Dieu un cadavre sur qui l’homme se prélasse. »
« La liberté est un joug trop lourd pour la nuque de l’homme. Même pris d’une terreur sauvage, il est plus assuré que sur les chemins de la liberté. Bien qu’il la considère comme la valeur positive par excellence, la liberté n’a jamais cessé de lui présenté son revers négatif. La route infaillible de la débâcle est la liberté. L’homme est trop faible et trop petit pour l’infini de la liberté, de sorte qu’elle devient un infini négatif. Face à l’absence de borne, l’homme perd les siennes. La liberté est un principe éthique d’essence démoniaque. Le paradoxe est insoluble.
La liberté est trop grande et nous sommes trop petit. Qui, parmi les hommes, l’a méritée ? L’homme aime la liberté, mais il la craint. »
« Je ne connais que deux déchirements : juif et russe (Job et Dostoïevski). D’autres peuples ont sans doute souffert infiniment ; mais eux n’avaient pas la passion de la souffrance. N’ont eu une mission que les peuples qui se sont foulés eux-mêmes aux pieds, et ont réédité Adam. Un peuple qui n’a pas enduré dans son existence historique toute la tragédie de l’histoire ne peut s’élever au messianisme et à l’universalisme. Un peuple qui ne croit pas qu’il a le monopole de la vérité ne laissera pas de traces dans l’histoire. »
« [...] le vertige abyssal des grandes profondeurs, l’appel d’un infini béant prêt à nous engloutir et auquel nous nous soumettons comme à une fatalité ? Comme il serait doux de pouvoir mourir en se jetant dans un vide absolu ! »
« En ce qui me concerne, je démissionne de l’humanité : je ne peux, ni ne veux, demeurer homme. Que me resterait-il à faire en tant que tel — travailler à un système social et politique, ou encore faire le malheur d’une pauvre fille ? Traquer les inconséquences des divers systèmes philosophiques ou m’employer à réaliser un idéal moral et esthétique ? Tout cela me paraît dérisoire : rien ne saurait me tenter. Je renonce à ma qualité d’homme, au risque de me retrouver seul sur les marches que je veux gravir. Ne suis-je pas déjà seul en ce monde dont je n’attends plus rien ? Au-delà des aspirations et des idéaux courants, une supra-conscience fournirait, probablement, un espace où l’on puisse respirer. Ivre d’éternité, j’oublierais la futilité de ce monde ; rien ne viendrait plus trouver une extase où l’être serait tout aussi pur et immatériel que le non-être. »
« [...] l’esprit est le fruit d'un détraquement de la vie, de même que l’homme n’est qu’un animal qui a trahi ses origines. L’existence de l’esprit est une anomalie de la vie. »
« La liberté est une dépense, la liberté exténue, tandis que l'oppression fait accumuler des forces, empêche le gaspillage d'énergie résultant de la faculté qu'a l'homme libre d'extérioriser, de projeter au-dehors ce qu'il a de bon. »
« La preuve que l’homme exècre l’homme ? Il suffit de se trouver au milieu d’une foule, pour se sentir aussitôt solidaire de toutes les planètes mortes. »
« La base de la société, de toute société, est un certain orgueil d'obéir. Quand cet orgueil n'existe plus, la société s'écroule. »
« Dès qu'on sort dans la rue, à la vue des gens, extermination est le premier mot qui vient à l'esprit. »
« Au Zoo. — Toutes ces bêtes ont une tenue décente hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin. »
« Heureux tous ceux qui, nés avant la Science, avaient le privilège de mourir dès leur première maladie ! »
« Où aller, où demeurer ? et que chercher encore dans le brouhaha d'une planète babylonisée ? »
« Il est moins urgent de sonder "l'avenir", objet d'épouvante sans plus, que la fin, ce qui viendra après... "l'avenir", quand le temps historique, coextensif à l'entreprise humaine, ayant cessé, cessera par là même la procession des nations et des empires. Soulagé du fardeau de l'histoire, l'homme, au comble de l'épuisement, une fois qu'il aura abdiqué sa singularité, ne disposera plus que d'une conscience vide sans rien qui puisse la remplir : un troglodyte désabusé, un troglodyte revenu de tout. Renouera-t-il avec ses lointains ancêtres, la post-histoire se présentera-t-elle comme une version aggravée de la préhistoire ? Et comment fixer la physionomie de ce survivant, que le cataclysme aura rapproché des cavernes ? Que fera-t-il face à ces deux extrêmes, face à cet intervalle qui les sépare, où fut élaboré un héritage qu'il refuse ? Dégagé de toutes les valeurs, de toutes les fictions qui eurent cours durant ce laps de temps, il ne pourra ni ne voudra, dans sa décrépitude lucide, en inventer de nouvelles. Et c'est ainsi que le jeu qui avait jusque-là réglé la succession des civilisations sera terminé. »
« La société d'alors, nous le savons maintenant, était tolérante parce qu'elle manquait de la vigueur nécessaire pour persécuter, donc pour se conserver. »
« Le monde antique devait être bien atteint pour avoir eu besoin d'un antidote aussi grossier que celui qu'allait lui administrer le christianisme. Le monde moderne l'est tout autant à en juger par les remèdes dont il attend des miracles. »
« Je n'ai pas peur de la mort, j'ai peur de la mort dans la vie. »
« La nature, en quête d'une formule susceptible de contenter tout le monde, a fixé son choix sur la mort, laquelle, c'était à prévoir, ne devait satisfaire personne. »
« Se débarrasser de la vie, c'est se priver du bonheur de s'en moquer.
Unique réponse possible à quelqu'un qui vous annonce son intention d'en finir. »
« Aucun sort dont j'aurais pu m'accommoder. J'étais fait pour exister avant ma naissance et après ma mort, sauf durant mon existence même. »
« On meurt depuis toujours et cependant la mort n'a rien perdu de sa fraîcheur. C'est là que gît le secret des secrets. »
« Ignace de Loloya, tourmenté par des scrupules dont il ne précise pas la nature, raconte qu'il songea à se détruire. Même lui ! Cette tentation est décidément plus répandue et plus enracinée qu'on ne le pense. Elle est en fait l'honneur de l'homme, en attendant d'en être le devoir. »
« Il est terrible de ne pas remarquer que, pour échapper à la mort, on court après ceux qui meurent ! »
« La vie et moi : deux lignes parallèles qui se rencontrent dans la mort. »
« Tant d'hommes ne sont séparés de la mort que par la nostalgie qu'ils en ont ! La mort s'y forge un miroir de la vie où elle puisse se contempler.
La poésie : instrument d'un narcissisme funèbre. »
« Même le suicide n'est qu'un hommage négatif que nous rendons à nous-mêmes. »
« La mort : le sublime à la portée de chacun. »
« Par la mort, l'homme devient contemporain de lui-même. »
« La mort introduit de toute façon un certain ordre dans l'infini. N'est-elle pas la seule direction ? »
« Je ne pense pas à la mort : c'est elle qui pense à soi. Tout ce qui en elle est possibilité de vie respire par moi, je n'existe quant à moi que par le temps dont son éternité est capable. Dans la mesure où elle se défend de son absolu, se refuse à la grandeur et descend de bon gré dans la déchéance temporelle, alors je suis. Je cherche la vie même dans la mort, et n'ai d'autre but que de la découvrir en tout ce qui n'est pas elle. Si la charogne divine était plus vivante, depuis longtemps le me serais fixé dans ses bras. Mais Dieu a dispensé trop peu de vies pour que j'aie à chercher dans son désert. »
« Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l'oublier. La peur de la mort n'est que la projection dans l'avenir d'une peur qui remonte à notre premier instant. »
« Pourquoi craindre le néant qui nous attend alors qu'il ne diffère pas de celui qui nous précède [...]. »
« Tous ces peuples étaient grands, parce qu'ils avaient de grands préjugés. Ils n'en ont plus. Sont-ils encore des nations ? Tout au plus des foules désagrégées. »
« Quelle malédiction l'a frappé [l'Occident] pour qu'au terme de son essor il ne produise que ces hommes d'affaires, ces épiciers, ces combinards aux regards nuls et aux sourires atrophiés, que l'on rencontre partout, en Italie comme en France, en Angleterre de même qu'en Allemagne ? Est-ce à cette vermine que devait aboutir une civilisation aussi délicate, aussi complexe ? Peut-être fallait-il en passer par là, par l'abjection, pour pouvoir imaginer un autre genre d'hommes. »
« Au milieu de ses perplexités et de ses veuleries, l'Europe garde néanmoins une conviction, une seule, dont pour rien au monde elle ne consentirait à se départir : celle d'avoir un avenir de victime, de sacrifiée. Ferme et intraitable pour une fois, elle se croit perdue, elle veut l'être et elle l'est. Du reste, ne lui a-t-on pas appris de longue date que des races fraîches viendront la réduire et la bafouer ? Au moment où elle semblait en plein essor, au XVIIIe siècle, l'abbé Galiani constatait déjà qu'elle était en déclin et le lui annonçait. Rousseau, de son côté, vaticinait : « Les Tartares deviendront nos maîtres : cette révolution me paraît infaillible. » Il disait vrai. Pour ce qui est du siècle suivant, on connaît le mot de Napoléon sur les Cosaques et les angoisses prophétiques de Tocqueville, de Michelet ou de Renan. Ces pressentiments ont pris corps, ces intuitions appartiennent maintenant au bagage du vulgaire. On n'abdique pas du jour au lendemain : il y faut une atmosphère de recul soigneusement entretenue, une légende de la défaite. Cette atmosphère est créée, comme la légende. Et de même que les précolombiens, préparés et résignés à subir l'invasion de conquérants lointains, devaient fléchir lorsque ceux-ci arrivèrent, de même les Occidentaux, trop instruits, trop pénétrés de leur servitude future, n'entreprendront sans doute rien pour la conjurer. Ils n'en auraient d'ailleurs ni les moyens ni le désir, ni l'audace. Les croisés, devenus jardiniers, se sont évanouis en cette postérité casanière où ne subsiste plus aucune trace de l'espace et horreur du chez soi, rêve vagabon et besoin de mourir au loin..., mais l'histoire est précisément ce que nous ne voyons plus alentour. »
« Vivre ici c'est la mort ; ailleurs, le suicide. Où aller ? La seule partie de la planète où l'existence semblait avoir quelque justification est gagnée par la gangrène. Ces peuples archicivilisés sont nos fournisseurs en désespoir. Pour désespérer, il suffit en effet de les regarder, d'observer les agissements de leur esprit et l'indigence de leurs convoitises amorties et presque éteintes. Après avoir péché si longtemps contre leur origine et négligé le sauvage, la horde — leur point de départ —, force leur est de constater qu'il n'y a plus en eux une seule goutte de sang hun. »
« En Orient, les penseurs occidentaux les plus curieux, les plus étranges, n'auraient jamais été pris au sérieux, à cause de leurs contradictions. »
« Tant que le christianisme comblait les esprits, l’utopie ne pouvait les séduire ; dès qu’il commença à les décevoir, elle chercha à les conquérir et à s’y installer. Elle s’y employait déjà à la Renaissance, mais ne devait y réussir que deux siècles plus tard, à une époque de superstitions "éclairées". Ainsi naquit l’Avenir, vision d’un bonheur irrévocable, d’un paradis dirigé, où le hasard n’a pas de place, où la moindre fantaisie apparaît comme une hérésie ou une provocation. En faire la description, ce serait entrer dans les détails de l’inimaginable. L’idée même d’une cité idéale est une souffrance pour la raison, une entreprise qui honore le cœur et disqualifie l’intellect. [...] Échafauder une société où selon une étiquette terrifiante, nos actes sont catalogués et réglés, où, par une charité poussée jusqu’à l’indécence, l’on se penche sur nos arrière-pensées elles-mêmes, c’est transporter les affres de l’enfer dans l’âge d’or, ou créer, avec le concours du diable, une institution philanthropique. [...]
À prôner les avantages du travail, les utopies devaient prendre le contre-pied de la "Genèse". Sur ce point tout particulièrement, elles sont l’expression d’une humanité engloutie dans le labeur, fière de se complaire aux conséquences de la chute, dont la plus grave demeure l’obsession du rendement. Les stigmates d’une race qui chérit la "sueur du front", qui en fait signe de noblesse, qui s’agite et peine "en exultant", nous les portons avec orgueil et ostentation ; d’où l’horreur que nous inspire, à nous autres réprouvés, l’élu qui refuse de besogner, ou d’exceller dans quelque domaine que ce soit. Le refus dont nous lui faisons grief, en est capable celui-là seul qui conserve le souvenir d’un bonheur immémorial. Dépaysé au milieu de ses semblables, il est comme eux et pourtant il ne peut communiquer avec eux ; de quelque côté qu’il regarde, il ne se sent pas d’"ici" ; tout ce qu’il y discerne lui semble usurpation : le fait même de porter un nom... Ses entreprises échouent, il s’y lance sans y croire : des simulacres dont le détourne l’image "précise" d’un autre monde. L’homme, une fois évincé du paradis, pour qu’il n’y songe plus ni n’en souffre, obtint en compensation la faculté de vouloir, de tendre vers l’acte, de s’y abîmer avec enthousiasme, avec brio. Mais pour l’aboulique, dans son détachement, dans son marasme surnaturel, quel effet produire, à quel objet se livrer ? Rien ne l’engage à sortir de son absence. Et cependant lui-même n’échappe pas entièrement à la malédiction commune : il "s’épuise" dans un regret, et y dépense plus d’énergie que nous n’en fournissons dans tous nos exploits. »
« Titulaire d'un destin religieux, il a survécu à Athènes et à Rome, comme il survivra à l'Occident, et il poursuivra sa carrière, envié et haï par tous les peuples qui naissent et meurent... »
— À propos des juifs
« Ce qui est certain, c'est qu'ils apparurent pendant longtemps comme l'incarnation même du fanatisme et que leur inclination pour l'idée libérale est plutôt acquise qu'innée. Le plus intolérant et le plus persécuté des peuples unit l'universalisme au plus strict particularisme. Contradiction de nature : inutile d'essayer de la résoudre ou de l'expliquer. »
— À propos des juifs
« Plus elle [la Russie] deviendra forte, plus elle prendra conscience de ses racines, dont, en une certaine manière, le marxisme l'aura éloignée ; après une cure forcée d'universalisme, elle se rerussifiera, au profit de l'orthodoxie. Du reste, elle a marqué d'une telle empreinte le marxisme qu'elle l'aura slavisé. Tout peuple de quelque envergure qui adopte une idéologie étrangère à ses traditions l'assimile et la dénature, l'infléchit dans le sens de sa destinée nationale, la fausse à son avantage, au point de la rendre indiscernable de son propre génie. »
« N'avoir plus rien de commun avec les hommes que le fait d'être homme ! »
« En permettant l'homme, la nature a commis beaucoup plus qu'une erreur de calcul : un attentat contre elle-même. »
« Dès que les animaux n'ont plus besoin d'avoir peur les uns des autres, ils tombent dans l'hébétude et prennent cet air accablé qu'on leur voit dans les jardins zoologiques. Les individus et les peuples offriraient le même spectacle, si un jour ils arrivaient à vivre en harmonie, à ne plus trembler ouvertement ou en cachette. »
« En dehors de la musique, tout est mensonge, même la solitude, même l'extase. Elle est justement l'une et l'autre en mieux. »
« Il n'est que la musique pour créer une complicité indesctructible entre deux êtres. »
« J'ai connu des écrivains obtus et même bêtes. Les traducteurs, en revanche, que j'ai pu approcher étaient plus intelligents et plus intéressants que les auteurs qu'ils traduisaient. C'est qu'il faut plus de réflexion pour traduire que pour "créer". »
« De quel entêtement l'histoire est le fruit ! »
« Si on avait pu naître avant l'homme ! »
« Chaque génération vit dans l'absolu : elle se comporte comme si elle était parvenue au sommet, sinon à la fin, de l'histoire. »
« Un peuple ne fait qu'une seule révolution. Les Allemands n'ont jamais réédité l'exploit de la Réforme, ou plutôt ils l'ont réédité sans l'égaler. La France est restée pour toujours tributaire de quatre-vingt-neuf. Également vraie pour la Russie et pour tous les pays, cette tendance à se plagier soi-même en matière de révolution, est tout ensemble rassurante et affligeante. »
« Tant qu'il y aura encore un seul dieu debout, la tâche de l'homme ne sera pas finie. »
« J'ai beau faire, je n'arrive pas à mépriser tous ces siècles pendant lesquels on ne s'est employé à rien d'autre qu'à mettre au point une définition de Dieu. »
« De tout ce qui nous fait souffrir, rien, autant que la déception, ne nous donne la sensation de toucher enfin au Vrai. »
« La vérité est une erreur exilée dans l'éternité. »
« Sans le malheur, l'amour ne serait guère plus qu'une gestion de la nature. »
« [...] la démocratie est tout ensemble le paradis et le tombeau d'un peuple. »
« Il faut souffrir jusqu'au bout, jusqu'au moment où l'on cesse de croire à la souffrance. »
« La musique n'existe qu'aussi longtemps que dure l'audition, comme Dieu qu'autant que dure l'extase.
L'art suprême et l'être suprême ont ceci de commun qu'ils dépendent entièrement de nous. »
« Pour certains, pour la plupart en fait, la musique est stimulante et consolatrice ; pour d'autres, elle est un dissolvant souhaité, un moyen inespéré de se perdre, de couler avec ce qu'on peut avoir de meilleur. »
« Le bonheur et le malheur me rendent également malheureux. Pourquoi alors m'arrive-t-il quelquefois de préférer le premier ? »
« Les animaux, ainsi que les plantes, sont tristes, mais n'ont pas fait de la tristesse un instrument de connaissance. En cet usage précisément, l'homme cesse d'être nature. »
« L'amour ? Mais voyez comme chaque rayon de soleil se noie dans une larme, comme si l'astre brillant était né des pleurs de la Divinité ! »
« Le malheur est l'était poétique par excellence. »
« L'existence pourrait se justifier si chacun se comportait comme s'il était le dernier des vivants. »
« Seul est porté à oeuvrer celui qui se trompe sur soi, qui ignore les motifs secrets de ses actes. Le créateur devenu transparent à lui-même, ne crée plus. La connaissance de soi indispose le démon. C'est là qu'il faut chercher la raison pourquoi Socrate n'a rien écrit. »
« Ce qui est merveilleux, c'est que chaque jour nous apporte une nouvelle raison de disparaître. »
« Plus on a souffert, moins on revendique. Protester est signe qu'on n'a traversé aucun enfer. »
« J'aimerais tout oublier et me réveiller face à la lumière d'avant les instants. »
« Ces instants où il suffit d'un souvenir ou de moins encore, pour glisser hors du monde. »
« Avoir soulevé toute la nuit des Himalayas — et appeler cela sommeil. »
« [...] fermer longtemps les yeux pour oublier la lumière et tout ce qu'elle dévoile. »
« J'avais cependant omis de signaler le fait. Omission d'autant plus impardonnable que les humains se partagent en dormeurs et en veilleurs, deux spécimens d'êtres, à jamais hétérogènes, qui n'ont en commun que leur aspect physique. »
« On ne détruit une civilisation que lorsqu'on détruit ses dieux. Les chrétiens, n'osant attaquer l'empire de front, s'en prirent à sa religion. Ils ne se sont laissés persécuter que pour mieux pouvoir fulminer contre elle, pour satisfaire leur irrépressible appétit d'exécrer. Qu'ils eussent été malheureux si on n'eût pas daigné les promouvoir au rang de victimes ! Tout dans le paganisme, jusqu'à la tolérance, les exaspérait. Forts de leurs certitudes, ils ne pouvaient comprendre que l'on se résignât, à la manière des païens, aux vraisemblances, ni que l'on suivît un culte dont les prêtres, simples magistrats préposés aux simagrées du rituel, n'imposaient à personne la corvée de la sincérité. »
« Le rêve, en abolissant le temps, abolit la mort. Les défunts en profitent pour nous importuner. »
« Au-delà d'un quart d'heure, on ne peut assister sans impatience au désespoir d'un autre. »
« L'orgasme est un paroxysme ; le désespoir aussi. L'un dure un instant ; l'autre, une vie. »
« Soyons raisonnables : à nul n'est donné de revenir complètement de tout. Faut d'une déception universelle, il ne saurait y avoir davantage une connaissance universelle. »
« De même que l'apparition du Crucifié a coupé l'histoire en deux, de même cette nuit vient de couper en deux ma vie... »
« Quel jugement sur les vivants s'il est vrai, comme on l'a soutenu, que ce qui périt n'a jamais existé ! »
« On se démène tant — pourquoi ? Pour redevenir ce qu'on était avant d'être. »
« Les seuls événements notables d'une vie sont les ruptures. Ce sont elles aussi qui s'effacent en dernier de notre mémoire. »
« L'insomnie semble épargner les bêtes. Si nous les empêchions de dormir pendant quelques semaines, un changement radical surviendrait dans leur nature et leur comportement. Elles éprouveraient des sensations inconnues jusqu'alors, et qui passaient pour nous appartenir en propre. Détraquons le règne animal, si nous voulons qu'il nous rattrape et nous remplace. »
« Dans aucun bavardage sur la Connaissance, dans aucune Erkenntnistheorie, dont se gargarisent tant les philosophes, allemands ou non, vous ne tomberez sur le moindre hommage à la Fatigue en soi, état le plus propre à nous faire pénétrer jusqu'au fond des choses. Cet oubli ou cette ingratitude discrédite définitivement la philosophie. »
« Une flamme traverse le sang. Passer de l'autre côté, en contournant la mort. »
« Ces nuits où l'on se persuade que tous ont évacué cet univers, même les morts, et qu'on y est le dernier vivant, le dernier fantôme. »
« Sortir indemne de la vie — cela pourrait arriver mais cela n'arrive sans doute jamais. »
« La conscience : somme de nos malaises depuis notre naissance jusqu'à l'état présent. Ces malaises se sont évanouis ; la conscience demeure — mais elle a perdu ses origines..., elle les ignore même. »
« J'escomptais assister de mon vivant à la disparition de notre espèce. Mais les dieux m'ont été contraires. »
« Le passage pur du temps, le temps nu, réduit à une essence d'écoulement, sans la discontinuité des instants, c'est dans les nuits blanches qu'on le perçoit. Tout disparaît. Le silence s'insinue partout. On écoute, on n'entend rien. Les sens ne se tournent plus vers le dehors. Vers quel dehors ? Engloutissement auquel survit ce pur passage à travers nous et qui est nous, et que ne finira qu'avec le sommeil ou le jour. »
« J'étais allé loin pour chercher le soleil et le soleil, enfin trouvé, m'était hostile. Et si j'allais me jeter du haut de la falaise ? Pendant que je faisais des considérations plutôt sombres, tout en regardant ces pins, ces rochers, ces vagues, je sentis soudain à quel point j'étais rivé à ce bel univers maudit. »
« Si la souffrance n'était pas un instrument de connaissance, le suicide deviendrait obligatoire. »
« Être malade signifie vivre dans la conscience du présent [...]. »
« Il est des clairières où les anges viennent faire halte : au bord des déserts, j'y planterais des fleurs pour pouvoir me reposer à l'ombre de ce symbole. »
« Le temps est un ersatz métaphysique de la mer. On ne pense à lui que pour vaincre la nostalgie. »
« Le monde est un Non-Lieu universel. C'est pourquoi vous n'avez nulle part où aller, jamais... »
« Et qu'est donc la vie sinon le lieu des séparations ? »
« Si je courais comme un fou à ma recherche, qui me dit que je ne me rencontrerais jamais ? Sur quel terrai vague de l'univers serais-je égaré ? J'irais me chercher là ù l'on entend la lumière... car, si je me souviens bien, ai-je aimé autre chose que la sonorité des transparences ? »
« Or, aucun animal ne peut symboliser l'éphémère, tandis que les fleurs en sont l'expression directe — l'irrémédiable esthétique de l'éphémère. »
« Un naufragé battu par toutes les vagues, projeté contre tous les rochers, aspiré par toutes les obscurités — et qui tiendrait le soleil dans ses bras ! Épave errant avec la source de la vie sur le cœur, étreignant son éclat mortel, se noyant avec lui dans les vagues, car le fond de la mer attend depuis une éternité sa lumière et son fossoyeur. »
« Quel homme, s'apercevant dans un miroir dans une semi-obscurité, n'a cru rencontrer le suicidé qui est en lui ? »
« Si nous étions libres dans la maladie, les médecins deviendraient des clochards, car les mortels sont attirés par la souffrance, mais non par son mélange torturant de la subjectivité exaspérée et de nécessité invincible.
La maladie est la modalité sous laquelle la mort aime la vie, et l'individu le théâtre de cette faiblesse. Dans chaque douleur, labsolu de la mort goûte au devenir, notre souffrance n'étant que la tentation, la dégradation volontaire de l'Obscurité. Ainsi, la souffrance n'est qu'un amoindrissement de l'absolu de la mort. »
« La musique est du temps sonore. »
« Chaque homme est son propre mendiant. »
« On "tue" le temps pour le forcer à entrer dans le moule de l'existence, pour ne plus s'approprier les prérogatives de l'existant. »
« Le malheur de ne pas être assez malheureux... »
« [...] le sang refuse les souffles de l'amour, et les passions jettent des flammes glacées sur vos yeux éteints. »
« Quelle bizarrerie, lorsqu'on a compris que les êtres sont des ombres et que tout est vain, de s'éloigner du monde pour trouver le sens, le seul sens, dans la contemplation du Rien, quand on pouvait fort bien rester parmi les ombres et le rien de chaque jour. »
« Une passion sans limites fait regretter que les mers aient des fonds, et c'est dans l'immensité de l'azur qu'on assouvit le désir d'immersion dans l'infini. Au moins, le ciel n'a pas de frontières, et semble à la mesure du suicide. »
« Que les mers se mettent en colère et brisent leurs vagues contre le cœur humain ! »
« La sexualité sans l'idée de la mort est effroyable et dégradante. »
« Qu'est-ce qu'un artiste ? Un homme qui sait tout — sans s'en rendre compte. Un philosophe ? Un homme qui ne sait rien, mais qui s'en rend compte. »
« Les hommes tombent vers le ciel, car Dieu est un abîme, regardé d'en bas. »
« L'homme, dégoûté de lui-même, devient un somnanbule qui cherche à se perdre dans les déserts de Dieu. »
« Un architecte exilé de la terre pourrait construire, de nos amertumes, un monastère au ciel. »
« C'est Dieu qui nous regarde à travers toute larme. »
« Celui qui a vu à travers les hommes et à travers lui-même, devrait, de dégoût, bâtir une forteresse au fond des mers. »
« On pense — toujours — parce qu'on manque d'une patrie : l'esprit ne peut enfermer qui n'a pas de frontières. C'est pourquoi le penseur est un émigré dans la vie. Et lorsqu'on n'a pas su s'arrêter à temps, l'errance devient le seul chemin de nos peines. »
« S'insurger contre l'hérédité c'est s'insurger contre des milliards d'années, contre la première cellule. »
« Gogol, dans l'espoir d'une « régénération », se rendant à Nazareth et s'y ennuyant comme « dans une gare en Russie », c'est bien ce qui nous arrive à tous quand nous cherchons au-dehors ce qui ne peut exister qu'en nous. »
« A vingt ans, ces nuits où des heures durant je restais le front collé à la vitre, en regardant dans le noir... »
« L'humanité, une fois détruite ou simplement éteinte, on peut se figurer un survivant, l'unique, qui errerait sur la terre, sans même avoir à qui se livrer... »
« Pourquoi les conservateurs manient-ils si bien l’invective, et écrivent en général plus soigneusement que les fervents de l’avenir ? C’est que, furieux d’être contredits par les événements, ils se précipitent, dans leur désarroi, sur le verbe dont, à défaut d’une plus substantielle ressource, ils tirent vengeance et consolation. »
« Toujours le réactionnaire, ce conservateur qui a jeté le masque, empruntera aux sagesses ce qu'elles ont de pire, et de plus profond : la conception de l'irréparable, la vision statique du monde. Toute sagesse et, à plus forte raison, toute métaphysique, sont réactionnaires, ainsi qu'il sied à toute forme de pensée qui, en quête de constantes, s'émancipe de la superstition du divers et du possible. »
« Le désespoir de l'homme de gauche est de combattre au nom de principes qui lui interdisent le cynisme. »
« Serf, ce peuple bâtissait des cathédrales ; émancipé, il ne construit que des horreurs. »
Textus
Bibliographia
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