Alexandre Pouchkine.jpg

Citations

« Pourquoi tout ce tumulte, oracles des nations ?
Et pourquoi contre nous fulminer l’anathème ?
D’où cette indignation ? Les troubles de Pologne ?
C’est un débat qui seul touche les Slaves.
Vieux litige qu’arbitre un destin familial :
Il ne vous revient pas de trancher la question.
De tout temps ces tribus
ont guerroyé entre elles
et maintes fois dans l’orage
l’une ou l’autre a chaviré.
Qui sortira vainqueur de la lutte inégale
Du fanfaron Polaque ou du Russe loyal ?
— Vous fondrez-vous, ruisseaux slaves, dans la mer russe ?
— Mer, te tariras-tu ? — C’est toute la question.
Laissez-nous : vous n’avez pas lu
nos annales ensanglantées.
Cette querelle de famille
est étrangère à votre esprit
et muets pour vous le Kremlin et Praga.
Vous vous laissez absurdement séduire
par les héros d’un combat sans espoir
et surtout vous nous haïssez...
Mais pourquoi ? Répondez : serait-ce d’aventure
parce que dans les murs de Moscou incendié
nous n’avons pas plié sous l’impudent vouloir
de celui qui vous faisait trembler ?
Parce que nous avons fait descendre dans l’abîme
l’idole qui pesait sur la tête des rois ?
Rachetant de tout notre sang
l’honneur, la liberté et la paix de l’Europe ?
Terribles orateurs, eh bien, passez aux actes !
Nos guerriers d’Izmaïl auraient-il oublié
l’art de visser leurs baïonettes ?
Croyez-vous sans effet la parole du tsar ?
N’avons-nous pas déjà lutté contre l’Europe ?
Le Russe a-t-il perdu l’habitude de vaincre ?
Manquerions-nous de bras ? de Perm à la Tauride,
des ardeurs de Colchide aux froids rochers finnois,
du Kremlin naguère ébranlé
aux murs de la Chine immuable,
ne verra-t-on pas se lever
la Russie, hérissée d’acier ?
Envoyez-nous, fiers orateurs,
vos enfants aveuglés de rage :
les plaines de Russie leur assignent leur place
près des tombeaux où gisent leurs aînés. »

— Alexandre Pouchkine, « À ceux qui calomnient la Russie » (16 août 1831), dans Poésies, trad. Louis Martinez, éd. Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 1994 (ISBN 9782070327928), p. 151-152


« Mortels ! vous êtes tous semblables
À Ève, notre bonne aïeule :
Ce que vous tenez vous ennuie.
Toujours le serpent vous attire
Vers les mystères de son arbre.
Il vous faut du fruit défendu.
Sans quoi l’Éden est insipide. »

— Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine (1823—1832), trad. Jean-Louis Backès, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2019 (ISBN 9782070388981), p. 250-251


« Mais il est triste de se dire
Qu’on a gaspillé sa jeunesse,
Qu’on l’a trahie à chaque instant
Et qu’elle nous l’a bien rendu,
Que les meilleurs de nos désirs,
Que les plus pures rêveries
Sont allés à la pourriture
Comme les feuilles de l’automne. »

— Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine (1823—1832), trad. Jean-Louis Backès, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2019 (ISBN 9782070388981), p. 241


« Moscou compte autant de beautés
Que la nuit d’aimables étoiles ;
Mais la lune sur le ciel noir
Brille, et éclipse ses compagnes.
Mais celle que je n’ose pas
Troubler par les chants de ma lyre,
Comme une lune en majesté
Brille seule parmi les femmes.
Elle semble fouler la terre
Avec une fierté céleste !
Que de langueur sur cette gorge !
Que de tendresse dans ses yeux !
Assez ! Tais-toi ! À la folie
Tu as payé plus que ton dû. »

— Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine (1823—1832), trad. Jean-Louis Backès, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2019 (ISBN 9782070388981), p. 232


« C’est en vain que Napoléon
Grisé par ses derniers succès
Pensait qu’à ses pieds prosternée
Moscou allait lui apporter
Les clés de l’antique Kremlin.
Non. Moscou ne s’est pas soumise.
Le héros pressé d’en finir
Attendait un présent superbe.
Un incendie fut la réponse. »

— Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine (1823—1832), trad. Jean-Louis Backès, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2019 (ISBN 9782070388981), p. 224


« Trouver quelqu’un qu’on puisse aimer,
Quelqu’un qui ne trahira pas ;
Quelqu’un qui apprécie les choses
Et les mots selon notre goût ;
Qui ne dit aucun mal de nous ;
Qui prend soin de notre confort ;
Qui nous pardonne nos défauts
Et qui jamais ne nous ennuie.
Vous chercherez en vain ce fantôme ;
Cessez de perdre vos efforts.
N’ayez d’amour que pour vous-même,
Mon très respectable lecteur.
L’objet en est digne ; jamais
Vous ne trouverez plus aimable. »

— Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine (1823—1832), trad. Jean-Louis Backès, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2019 (ISBN 9782070388981), p. 133


« Oh ! Que vienne ma liberté !
Il en est temps. Je la supplie.
Sur le rivage je l’attends.
Je fais signe aux voiles qui passent.
Quand donc pourrai-je partir, libre
Sur la libre route des mers,
Luttant contre le flot rebelle ?
Il est temps que, loin du rivage,
(De cet élément ennemi),
Sur la houle des mers du Sud,
Sous le soleil de mon Afrique,
J’aille regretter la Russie,
Où j’ai souffert, où j'ai aimé,
Où j’ai mis mon cœur au tombeau. »

— Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine (1823—1832), trad. Jean-Louis Backès, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2019 (ISBN 9782070388981), p. 63-64
Alexandre Pouchkine 2.jpg
Alexandre Pouchkine 3.jpg

Textes