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Citations

« Jusqu’à la fin des temps, la doctrine augustinienne des deux cités séparées sera sans cesse replacée devant les deux points de la question qui reste ouverte : quis judicabit ? quis interpretabitur ? Qui résoudra in concreto, pour l’homme agissant dans son autonomie de créature, la question de ce qui est spirituel et de ce qui est temporel [...]. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1969), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 165


« Notre société présente est progressiste au sens d’un progrès débridé, qui associe une scientificité dénuée de valeurs, la liberté d’exploitation industrielle et la libre croissance de la consommation ; elle implique en outre le pluralisme des groupes sociaux, qui signifie un pluralisme généralisé des valeurs [...]. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1969), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 105


« Pour l’instant, le partisan représente encore une parcelle de vrai sol ; il est l’un des derniers à monter la garde sur la terre ferme, cet élément de l’histoire universelle dont la destruction n’est pas encore parachevée. »

— Carl Schmitt, Théorie du partisan (1963), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 278


« Au lendemain des guerres de libération, la philosophie dominante en Prusse fut celle de Hegel. Celle-ci était une tentative systématique de conciliation entre la révolution et la tradition. Elle pouvait passer pour conservatrice, elle l’était. Mais elle conservait aussi l’étincelle révolutionnaire, et sa philosophie de l’histoire fournit au progrès de la révolution une arme idéologique dangereuse, plus dangereuse que ne l’avait été la philosophie de Rousseau aux mains des Jacobins. C’est cette arme forgée par la philosophie de l’histoire qui tomba aux mains de Karl Marx et de Friedrich Engels. Mais nos deux révolutionnaires allemands étaient davantage des penseurs que des activistes de la guerre révolutionnaire. C’est avec un révolutionnaire professionnel russe, avec Lénine, que le marxisme en tant que doctrine est devenu cette puissance historique mondiale qu’il représente aujourd’hui. »

— Carl Schmitt, Théorie du partisan (1963), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 254


« La guerre sur mer est dans une large mesure une guerre commerciale ; en regard de la guerre sur terre, elle dispose de son propre espace et de ses concepts propres d’ennemi et de butin. »

— Carl Schmitt, Théorie du partisan (1963), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 233


« Dans le cycle infernal du terrorisme et du contre-terrorisme, la lutte contre le partisan n’est souvent que l’image inversée du combat partisan lui-même, confirmant ainsi de façon répétée la justesse de la vieille formule que l’on cite communément sous forme d’un ordre de Napoléon au général Lefèvre de 12 septembre 1813 : Il faut opérer en partisan partout où il y a des partisans. »

— Carl Schmitt, Théorie du partisan (1963), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 216


« Les théologiens tendent à définir l’ennemi comme quelque chose qui doit être anéanti »

— Carl Schmitt, Ex Captivitate Salus (1950)


« Qui est mon ennemi ? Celui-là est-il mon ennemi qui me donne ma pâture dans la cellule ? Il m’habille et me loge même. La cellule est l’habit dont il me fait don. Je me demande donc : Qui peut enfin être mon ennemi ?...

Qui puis-je donc reconnaître enfin comme mon ennemi ? Manifestement celui-là seul qui me met en question. En tant que je le reconnais comme mon ennemi, je reconnais qu’il me met en question. Mais qui peut véritablement me mettre en question ? Il n’y a que moi-même. Ou encore mon frère. C’est cela. L’autre est mon frère. L’autre se trouve être mon frère, et mon frère se trouve être mon ennemi. Adam et Eve avaient deux fils, Caïn et Abel. Ainsi commence l’histoire de l’humanité. C’est ainsi que nous apparaît le père de toutes choses. C’est là la tension dialectique qui maintient l’histoire du monde en mouvement, et l’histoire du monde n’est pas encore parvenue à son terme.

Sois donc prudent et ne parle pas à la légère de l’ennemi. On se classe d’après son ennemi. On se situe d’après ce que l’on reconnaît comme son ennemi. Ils sont vraiment inquiétants les exterminateurs qui se justifient par le fait qu’il faut exterminer les exterminateurs. Mais toute extermination n’est qu’une auto-destruction. L’ennemi par contre, c’est l’autre. Souviens-toi des belles phrases du philosophe : la relation à moi-même par l’autre constitue ce qui est véritablement infini. La négation de la négation, dit le philosophe, n’est pas une neutralisation, mais tout ce qui est véritablement infini en dépend. Ce qui est véritablement infini est le concept fondamental de la philosophie : L’ennemi est la figure de notre propre question.

Malheur à celui qui n’a pas d'ami, car son ennemi sera là pour le faire passer en jugement.

Malheur à celui qui n’a pas d'ennemi, car je serai son ennemi le jour du jugement dernier. »

— Carl Schmitt, Ex Captivitate Salus (1950)


« Le bombardement aérien, en revanche, n’a pour sens et fin que l’anéantissement. La guerre aérienne autonome, qui ne vient pas simplement s’ajouter aux armes et méthodes de la guerre navale ou terrestre traditionnelle, mais constitue un type de guerre entièrement nouveau [...].

L’horizon de la guerre aérienne n’est pas celui de la guerre terrestre ou maritime ; on peut même plus généralement se demander dans quelle mesure il est encore possible de parler d’horizon dans la guerre aérienne. Le changement structurel est d’autant plus grand que les deux surfaces, celle de la terre et celle de la mer, sont exposées sans distinction à l’action venant de l’espace aérien, du haut vers le bas. Cependant le rapport entre l’homme placé sur le sol de la terre ferme et les avions qui agissent sur lui du haut des airs ressemble davantage à celui entre un animal au fond de la mer et les vaisseaux à la surface de la mer qu’au rapport entre l’homme et ses semblables. [...]

Dans le bombardement aérien, l’absence de relation du belligérant avec le sol et la population ennemie qui s’y trouve devient absolue [...]. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 314-318


« Le nouvel Occident, l’Amérique, veut déloger ce qui avait été jusque-là l’Occident, l’Europe, de sa place traditionnelle dans l’histoire universelle, de ce qui était jusque-là le centre de la terre. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 287


Il règne sur l’opinion publique « les prétentions idéologiques d’un universalisme exempt d’esprit critique [...]. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 241-242


« L’évolution planétaire avait depuis bien longtemps conduit à un claire dilemme entre univers et plurivers, entre monopole et polypole, c’est-à-dire à la question de savoir si la planète [est] mûre pour le monopole global d’une seule puissance, ou si c’est un pluralisme de grands-espaces, de sphères d’intervention et de zones culturelles ordonnés en eux-mêmes et coexistants qui allait déterminer le nouveau droit des gens de la terre. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 241


« L’idée d’une économie mondiale libre n’impliquait pas seulement le dépassement des frontières politiques des États. Elle comportait aussi comme présupposé essentiel un standard de la constitution interne de chacun des membres de cet ordre juridique international ; elle présupposait que chaque membre introduisît chez lui un minimum d’ordre constitutionnel. Ce minimum consistait en la liberté, c’est-à-dire en la séparation d’une sphère publique relevant de l’État et du domaine du privé, et se ramenait donc avant tout au caractère non étatique de la propriété, du commerce et de l’industrie. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 233


« À la conception régnante d’un universalisme global aspatial, correspondait cependant bien une réalité dans le domaine de l’économie, distincte de l’État, à savoir un commerce et un marché libres mondiaux, avec la libre circulation de l’or, du capital et du travail. Depuis le traité Cobden de 1860, la pensée économique libérale et le caractère global du commerce étaient devenus naturels pour la pensée européenne et courants dans la pensée en général. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 233


« [...] la doctrine européenne du droit des gens de la fin XIXe siècle a perdu la conscience de la structure spatiale de l’ordre qui avait été jusqu’alors le sien. Avec une naïveté parfaite, elle a pris un processus d’universalisation toujours plus ample, toujours plus extérieur et toujours plus superficiel pour une victoire du droit des gens européen. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 231


« [...] l’Europe n’était plus le centre sacral de la terre [...]. C’est dans cette dans confusion que se liquéfiait l’ancien nomos de la terre déterminé à partir de l’Europe. [...]

Il devenait impossible d’arrête le déclin du Jus publicum Europaeum dans un droit mondial indistinctement universel. La dissolution dans l’universel général était en même temps la destruction de l’ordre global existant de la terre. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 225


« La séparation entre terre ferme et mer libre était la caractéristique fondamentale du Jus publicum Europaeum. Cet ordre spatial n’est pas issu pour l’essentiel de prises de terres intra-européennes et de mutation territoriales, mais de la prise par les Européens d’un nouveau monde non européen, en conjonction avec une prise de la mer libre par l’Angleterre. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 182


« Seule l’Angleterre réussit à passer d’une existence médiévale, féodale et terrienne, à une existence maritime, qui, purement marine, contrebalançait l’ensemble du monde terrien. L’Espagne resta trop terrienne et ne put se maintenir comme puissance maritime malgré son empire d’outre mer. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 172


« C’est ainsi que l’ordre mondial européo-centrique apparu au XVIe siècle s’est divisé en deux ordres globaux distincts, terrestres et maritime. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’opposition entre terre et mer devient le fondement universel d’un droit des gens global. Désormais il ne s’agit plus de mers intérieures comme la Méditerranée, l’Adriatique ou la Baltique, mais du globe terrestre entier mesuré géographiquement, et de ses océans. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 172


« La mer reste en dehors de tout ordre spatial spécifiquement étatique. Elle n’est ni territoire étatique, ni espace colonial, ni susceptible d’occupation. Elle est libre de toute forme d’autorité spatiale étatique. La terre ferme est divisée par des frontières linéaires claires en territoires étatiques et espaces de domination. La mer ne connaît d’autre frontière que la côte. C’est la seule superficie spatiale accessible à tous les États et ouverte au commerce, à la pêche, et à un libre exercice de la guerre maritime et du droit de butin dans la guerre maritime, sans égard au voisinage ou aux frontière géographique. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 171-172


« [...] seuls les saints seraient pleinement en mesure de réaliser l’union entre amour intérieur et lutte extérieure qui appartient à l’essence de la guerre juste. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 156


« [...] c’est là que réside le nouveau concept de guerre, qui a cessé d’être discriminatoire et permet de traiter les États belligérants comme égaux devant le droit des gens, c’est-à-dire comme situés tous les deux sur le même plan juridique et moral en tant que justi hostes et de tenir séparées les notions d’ennemi et de criminel. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 149


« La première rationalisation produite par la structure spatiale appelée “État” consista, en politique intérieure et extérieure, à déthéologiser la vie publique et à neutraliser les antagonismes de la guerre civiles confessionnelles. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 142


« [...] des notions humanitaires neutres, telles que l’“Humanité” prise dans son ensemble et la civitas maxima ; sur le plan pratique concret et à l’intérieur de l’État, cela revint à ériger en standard constitutionnel mondial l’État de droit bourgeois et la société individualiste bourgeoise. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 135


« Beaucoup de peuples se tenaient dans les montagnes, bien à l’écart de la côte, et ne perdirent jamais l’antique et pieuse horreur de la mer. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 49


« En premier lieu, la terre féconde porte en elle-même, au sein de sa fécondité, une mesure intérieure. Car la fatigue et le labeur, les semailles et le labour que l’homme consacre à la terre féconde sont rétribués équitablement par la terre sous la forme d’une pousse et d’une récolte. Tout paysan connaît la mesure intérieure de cette justice. »

— Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel et Peter Haggenmacher, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2012 (ISBN 9782130608691), p. 47


« L’apparition de l’avion marqua la conquête d’une troisième dimension après celle de la terre et de la mer. L’homme s’élevait au-dessus de la surface de la terre et des flots et se dotait en même temps d’un moyen de communication entièrement nouveau — et d’une arme non moins nouvelle. Ce fut un nouveau bouleversement des échelles de référence et des critères, et les possibilités de domination humaine sur la nature et les autres hommes devinrent incalculables. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 189


« Le monde a changé, l’Angleterre est devenue trop exiguë, elle n’est plus “île” au sens où elle l’avait été jusque-là. Les États-Unis d’Amérique, en revanche, sont l’île parfaitement adaptée à son époque. [...] Le caractère insulaire des États-Unis permettra de maintenir et de développer sur une base élargie la domination des mers. L’Amérique est la “plus grande île”, celle à partir de laquelle la maîtrise britannique des mers se perpétuera, sur une échelle plus vaste, sous la forme d’un condominium maritime anglo-américain. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 186


« Les adversaires en présence sont les armées : la population civile, non combattante, reste en dehors des hostilités. Elle n’est pas l’ennemi, et n’est d’ailleurs pas traitée comme tel aussi longtemps qu’elle ne participe pas aux combats. La guerre sur mer, par contre, repose sur l’idée qu’il faut atteindre le commerce et l’économie de l’adversaire. Dès lors, l’ennemi, ce n’est plus seulement l’adversaire en armes, mais tout ressortissant de la nation adverse et même, finalement, tout individu ou État neutre qui commerce avec l’ennemi ou entretient des relations économiques avec lui. La guerre terrestre tend à l’affrontement décisif en rase campagne. La guerre maritime n’exclut pas le combat naval, mais ses méthodes privilégiées sont le pilonnage et le blocus des côtes ennemies et la capture de navires de commerce ennemis et neutres selon le droit de prise. Par essence, ces moyens privilégiés de la guerre sur mer sont dirigés aussi bien contre les combattants que contre les non-combattants. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 174


« C’est ainsi que la lutte pour la possession du Nouveau Monde devint une lutte entre la Réforme et la Contre-Réforme, entre le catholicisme mondial des Espagnols et le protestantisme mondial des huguenots, des Néerlandais et des Anglais. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 165-166


« Tout ordre fondamental est un ordre spatial. Parler de la constitution d’un pays ou d’un continent, c’est parler de son ordre fondamental, de son nomos. Or, l’ordre fondamental, le vrai, l’authentique, repose essentiellement sur certaines limites spatiales, il suppose une délimitation, une dimension, une certaine répartition de la terre. L’acte inaugural de toute grande époque est une appropriation territoriale d’envergure. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 159-160


« La France, elle, n’a pas suivi le grand élan maritime lié au protestantisme des huguenots. Par sa tradition spirituelle, elle resta en fin de compte un pays romain et en prenant parti pour la catholicité contre les huguenots (nuit de la Saint-Barthélemy en 1572 et conversion d’Henri IV au catholicisme), elle choisit par là même la terre contre la mer. Certes, son potentiel maritime restait considérable et aurait pu, même sous Louis XV, tenir tête à celui de l’Angleterre. Mais lorsqu’en 1672, le roi français congédia Colbert, son grand ministre du commerce et de la Marine, le choix en faveur de la terre devint irréversible. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 143


« [...] ce furent les Anglais qui, finalement, surclassèrent tous leurs rivaux et s’assurèrent une suprématie mondiale fondée sur la domination des océans. [...] Certes, les grands empires coloniaux d’autres peuples européens continuèrent d’exister : l’Espagne et le Portugal, par exemple, conservèrent d’immenses possessions outre-mer ; mais ils perdirent le contrôle des mers et des voies de communication. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 142


« Sans la baleine, les pêcheurs n’auraient jamais quitté les côtés ; c’est elle qui les émancipa des rivages et les attira vers le large. C’est elle qui nous fit découvrir les courants marins et la route du Nord. C’est elle qui nous a guidés. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 126-127


« Selon les interprétations des cabalistes médiévaux, l’histoire du monde est un combat entre la puissante baleine, le Léviathan, et le non moins puissant Behemoth, animal terrien que l’on imaginait sous les traits d’un éléphant ou d’un taureau. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 111


« L’histoire mondiale est l’histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances continentales et des puissances continentales contre les puissances maritimes. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 110


« L’homme est un être terrestre, un terrien. La terre ferme est le lieu où il vit, se meut, se déplace. Elle est son sol et son milieu. C’est elle qui fonde ses perspectives, détermine ses impressions, façonne le regard qu’il porte sur le monde. Né sur la terre, évoluant sur elle, l’homme en tire non seulement son horizon, mais son allure, sa démarche, ses mouvements, sa silhouette, sa stature. C’est pourquoi il appelle "terre" l’astre sur lequel il vit bien que la surface du globe soit constituée, on le sait, aux trois quarts d’eau et d’un quart seulement de terre ferme et que même les plus vastes continents ne sont que d’immenses îles flottantes. Et depuis que nous savons que notre terre a une forme sphérique, nous parlons tout naturellement de "globe terrestre". Imaginer un "globe marin" nous paraîtrait étrange.

Toute notre existence d’ici-bas, notre bonheur, nos malheurs, nos joies et nos peines, sont pour nous la vie "terrestre", c’est-à-dire, selon les sujets, un paradis ou une vallée de larmes. On comprend donc que dans nombre de mythes et de légendes qui expriment les souvenirs et les épreuves les plus lointains et les plus intimes des peuples, la terre apparaisse comme la mère primitive des hommes. Il est établi qu’elle est la plus ancienne de toutes les divinités. Les livres sacrés nous racontent que l’homme, issu de la terre, retournera à la terre. La terre est son socle maternel puisqu’il est lui-même fils de la terre. »

— Carl Schmitt, Terre et Mer (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), p. 103-104


« Si la protection cesse, l’État lui-même prend fin, et tout devoir d’obéissance disparaît. »

— Carl Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes (1938), trad. Denis Trierweiler, éd. Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 2002 (ISBN 9782020213417), p. 132


« C’est que depuis le congrès de Vienne, la première génération de jeunes juifs émancipés fait irruption en un large front au sein des nations européennes. Les jeunes Rothschild, Karl Marx, Börne, Heine, Meyerbeer et beaucoup d’autres occupent chacun son champ opératoire, dans l’économie, le droit public, l’art et les sciences. »

— Carl Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes (1938), trad. Denis Trierweiler, éd. Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 2002 (ISBN 9782020213417), p. 130


« L’histoire du monde apparaît comme un combat que les peuples païens se livrent entre eux. En particulier, Léviathan, c’est-à-dire les puissances maritimes, lutte contre les puissances terrestres, c’est-à-dire Béhémoth : ce dernier cherche à déchirer Léviathan avec ses cornes tandis que Léviathan avec ses nageoires, obstrue la bouche et les narines de Béhémoth et, de la sorte, le tue — cela est d’ailleurs une belle image du siège d’un pays par un blocus. Mais les juifs se tiennent à distance et observent comment les peuples de la terre s’entre-tuent ; à leurs yeux ces pratiques “d’égorgement et d’abattoir” réciproques sont conformes à la loi, et elles sont “kascher”, c’est pourquoi ils mangent la chair des peuples tués et en vivent. »

— Carl Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes (1938), trad. Denis Trierweiler, éd. Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 2002 (ISBN 9782020213417), p. 77


« Un État de partis pluraliste ne devient pas “total” par vigueur et par puissance, mais par faiblesse ; il intervient dans tous les domaines de la vie parce qu’il doit satisfaire aux prétentions de tous les intéressés. »

— Carl Schmitt, Légalité et Légitimité (1932), trad. Christian Roy et Augustin Simard, éd. Les presses de l’Université de Montréal, 2015 (ISBN 9782760634701), p. 133


« Et pourtant, la légitimité plébiscitaire est le seul type de justification de l’État qui est aujourd’hui largement reconnu comme valide. Il est même vraisemblable qu’une grande part des tendances favorisant aujourd’hui l’“État autoritaire” trouvent ici leur explication. Ces tendances ne sont pas simplement à porter au compte d’une nostalgie réactionnaire ou d’une volonté de restauration. Il est beaucoup plus important de reconnaître que la cause de l’actuel “État total”, ou plus exactement de la politisation totale de l’ensemble de l’existence humaine, se trouve dans la démocratie elle-même et que l’on a besoin, comme l’explique Heinz O. Zieglerau, d’une autorité stable pour entreprendre les dépolitisations nécessaires et pour conquérir à nouveau, à l’extérieur de l’État total, des sphères et des domaines de vie libres. Envisagé sous l’angle de la théorie constitutionnelle, le motif le plus puissant de ces tendances à l’auctoritas réside toutefois dans la situation elle-même et découle directement du fait que la légitimité plébiscitaire demeure l’unique système de justification reconnu. »

— Carl Schmitt, Légalité et Légitimité (1932), trad. Christian Roy et Augustin Simard, éd. Les presses de l’Université de Montréal, 2015 (ISBN 9782760634701), p. 131


« [...] le parlementarisme de la République française a réussi à neutraliser et à rendre inoffensif le germe de légitimité plébiscitaire que contenaient les lois constitutionnelles de 1875 avec la possibilité d’une dissolution du parlement. La “laïcisation” complète de l’État français correspond à la logique de la neutralité libérale quant aux questions confessionnelles et religieuses. »

— Carl Schmitt, Légalité et Légitimité (1932), trad. Christian Roy et Augustin Simard, éd. Les presses de l’Université de Montréal, 2015 (ISBN 9782760634701), p. 125


Le parlementarisme est « le système politique de la bourgeoisie libérale [...]. »

— Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. Lilyane Deroche, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2013 (ISBN 9782130627647), p. 453


« [...] il n’y a de démocratie que directe [...].

La représentation contient la véritable antithèse du principe démocratique d’identité ; ce qu’on appelle “démocratie représentative” est donc la forme typique d’un mixte, d’un compromis — et d’ailleurs jusque dans tous les détails de son organisation. [...] L’élément représentatif contient justement l’élément non démocratique de cette “démocratie”. Dans la mesure où le parlement est une représentation de l’unité politique, il s’oppose à la démocratie. [...] La situation politique spécifique du libéralisme bourgeois — dans l’entre-deux de la souveraineté du prince et de la souveraineté du peuple — trouva son expression dans cette forme politique intermédiaire. »

— Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. Lilyane Deroche, éd. Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2013 (ISBN 9782130627647), p. 352-357


« La représentation contient la véritable antithèse du principe démocratique d’identité ; ce qu’on appelle “démocratie représentative” est donc la forme typique d’un mixte, d’un compromis — et d’ailleurs jusque dans tous les détails de son organisation. […] L’élément représentatif contient justement l’élément non démocratique de cette “démocratie”. Dans la mesure où le parlement est une représentation de l’unité politique, il s’oppose à la démocratie. […] La situation politique spécifique du libéralisme bourgeois — dans l’entre-deux de la souveraineté du prince et de la souveraineté du peuple — trouva son expression dans cette forme politique intermédiaire. » 356-357

« Toute grande impulsion nouvelle, toute révolution et toute réforme, toute élite nouvelle est le fruit d’une ascèse et de la pauvreté volontaire ou imposée, celle-ci étant avant tout renoncement à la sécurité du statu quo. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 149


« [...] l’économie est devenue un phénomène politique, et partant, destin. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 125


« C’est précisément quand elle demeure apolitique qu’une domination des hommes reposant sur une base économique, en évitant toute apparence et toute responsabilité politique, se révèle être une terrible imposture. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 124


« En tant que réalité historique, le libéralisme n’a pas plus échappé au politique que n’importe quel mouvement humain de quelque importance [...]. Les libéraux de tous les pays ont fait de la politique comme les autres hommes, et ils ont conclu de multiples alliances avec des idées et des éléments non libéraux sous forme de national-libéraux, de social-libéraux, de conservateurs libéraux (Freikonservative), de catholiques libéraux, etc. [...] si la négation du politique impliquée dans tout individualisme conséquent commande une praxis politique de défiance à l’égard de toutes les puissances politiques et de tous les régimes imaginables, elle n’aboutira toutefois jamais à une théorie positive de l’État et du politique qui lui soit propre. Il s’ensuit qu’il existe une politique libérale sous forme d’opposition polémique visant les restrictions de la liberté individuelle par l’État [...]. [...] il n’y a pas de politique libérale sui generis, il n’y a qu’une critique libérale de la politique. Le système théorique du libéralisme [...] fournit une série de méthodes propres à freiner et à contrôler cette puissance d’État au profit de la liberté individuelle et de la propriété privée, à faire de l’État un compromis [...]. [...]

Cette défiance critique à l’égard de l’État et de la politique s’explique aisément par les principes d’un système qui exige que l’individu demeure terminus a quo et terminus ad quem. L’unité politique doit exiger, le cas échéant, que l’on sacrifie sa vie. Or, l’individualisme de la pensée libérale ne saurait en aucune manière rejoindre ou justifier cette exigence. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 114-115


« Ce serait une stupidité de croire qu’un peuple sans défense n’aurait que des amis, et il serait bas et malhonnête de compter que l’ennemi se laisserait peut-être attendrir par la non-résistance. Personne n’ira croire que les hommes puissent, par exemple, changer le monde et y créer une situation de moralité pure en renonçant à toute productivité esthétique ou économique ; combien moins encore un peuple renonçant à toute décision politique saurait-il placer l’humanité dans une situation où régnerait la moralité pure ou l’économie pure. Qu’un peuple n’ait plus la force ou la volonté de se maintenir dans la sphère du politique ce n’est pas la fin du politique dans le monde. C’est seulement la fin d’un peuple faible. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 94-95


Si un peuple « accepte qu’un étranger lui dicte le choix de son ennemi et lui dise contre qui il a le droit ou non de se battre, il cesse d’être un peuple politiquement libre et il est incorporé ou subordonné à un autre système politique. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 91


« Exiger des hommes, en toute sincérité, qu’ils tuent d’autres hommes et qu’ils soient prêts à mourir pour que le commerce et l’industrie des survivants florissants et pour que le pouvoir d’achat de leurs arrière-neveux soit solide, c’est une atrocité, c’est de la démence. Maudire la guerre homicide et demander aux hommes de faire la guerre, de tuer et de se faire tuer pour qu’il n’y ait “plus jamais ça”, c’est une imposture manifeste. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 90


« Il y a là, semble-t-il, un procédé de justification des guerres particulièrement fécond de nos jours. Dans ce cas, les guerres se déroulent, chacune à son tour, sous forme de toute dernière des guerres que se livre l’humanité. Des guerres de ce type se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité, pour la raison que, transcendant le politique, il est nécessaire qu’elles discréditent l’ennemi dans les catégories morales et autres pour en faire un monstre inhumain, qu’il ne suffit pas de repousser, mais qui doit être anéanti définitivement au lieu d’être simplement cet ennemi qu’il faut remettre à sa place, reconduire à l’intérieur de ses frontières. [...]

L’humanité en tant que telle ne peut pas faire la guerre, car elle n’a pas d’ennemi, du moins sur cette planète. Le concept d’humanité exclut le concept d’ennemi parce que l’ennemi lui-même ne laisse pas d’être un homme et qu’il n’y a là aucune distinction spécifique. Le fait que certaines guerres soient menées au nom de l’humanité ne constitue par une réfutation de cette vérité simple, mais seulement un renforcement de la signification politique. Quand un État combat son ennemi politique au nom de l’humanité, ce n’est pas une guerre de l’humanité mais bien plutôt une de celles où un État donné affrontant l’adversaire cherche à accaparer un concept universel pour s’identifier à celui-ci (aux dépens de l’adversaire), comme on abuse d’autre part de la paix, de la justice, du progrès et de la civilisation en les revendiquant pour soi tout en les déniant à l’ennemi. Le concept d’humanité est un instrument idéologique particulièrement utile aux expansions impérialistes, et sous sa forme éthique et humanitaire, il est un véhicule de l’impérialisme économique. On peut appliquer à ce cas, avec la modification qui s’impose, un mot de Proudhon : “Qui dit humanité veut tromper.” Étant donné qu’un nom aussi sublime entraîne certaines conséquences pour celui qui le porte, le fait de s’attribuer ce nom d’humanité, de l’invoquer et de le monopoliser, ne saurait que manifester une prétention effrayante à faire refuser à l’ennemi sa qualité d’être humain, à le faire déclarer hors la loi et hors l’humanité et partant à pousser la guerre jusqu’aux limites extrêmes de l’inhumain. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 75-97


« Un monde d’où l’éventualité de cette lutte aurait été entièrement écartée et bannie, une planète définitivement pacifiée serait un monde sans discrimination de l’ami et de l’ennemi et par conséquent un monde sans politique. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 73


« L’ennemi ne saurait être qu’un ennemi public, parce que tout ce qui est relatif à une collectivité, et particulièrement à un peuple tout entier, devient de ce fait affaire publique. Ennemi signifie hostis et non inimicus au sens plus large ; πολέμιος et non ἐχθρός. À l’instar de certaines autres langues, la langue allemande ne fait pas de distinction entre l’ennemi privé et l’ennemi politique, ce qui rend possibles bien des malentendus et des falsifications. Le passage bien connu : "Aimez vos ennemis" (Matth. 5, 44 ; Luc 6, 27), signifie diligite inimicos vestros, ἀγαπᾶτε τοὺς ἐχθροὺς ὑμῶν et non : diligite hostes vestros ; il n’y est pas question d’ennemi politique. Et dans la lutte millénaire entre le christianisme et l’Islam, il ne serait venu à l’idée d’aucun chrétien qu’il fallait, par amour pour les Sarrasins ou pour les Turcs, livrer l’Europe à l’Islam au lieu de la défendre. L’ennemi au sens politique du terme n’implique pas une haine personnelle, et c’est dans la sphère du privé seulement que cela a un sens d’aimer son ennemi, c’est-à-dire son adversaire. La citation biblique ci-dessus fait encore moins allusion à l’antagonisme politique qu’elle ne tend, par exemple, à faire disparaître l’opposition du bien et du mal ou celle du beau et du laid. Elle ne signifie surtout pas que l’on aimera les ennemis de son peuple et qu’on les soutiendra contre son propre peuple. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 67-68


« La distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi. Elle fournit un principe d’identification qui a valeur de critère, et non une définition exhaustive ou compréhensive. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 64


« Le concept d’État présuppose le concept de politique. »

— Carl Schmitt, La Notion de politique (1927), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2009 (ISBN 9782081228733), p. 57


« L’égalité de tous les hommes en tant qu’hommes n’est pas de la démocratie mais une certaine forme de libéralisme ; ce n’est pas une forme de l’État : c’est une morale et une vision du monde humanitaires en faveur des individus. »

— Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie (1923), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Seuil, 1988, p. 111


« Les inégalités substantielles ne disparaîtraient aucunement du monde et de l’État, mais reflueraient sur un autre secteur : elles passeraient par exemple du politique à l’économique et conféreraient une signification renouvelée, disproportionnée, à ce secteur. »

— Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie (1923), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Seuil, 1988, p. 110


« Que la séparation des pouvoirs s’identifie à la Constitution et qu’elle en réalise le concept, voilà qui va de soi aussi pour la pensée philosophique allemande de l’État de Kant à Hegel. Par suite, même pour ce type de pensée, la dictature n’est pas l’inverse de la démocratie, mais essentiellement la suppression de la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire la suppression de la constitution, autrement dit la fin de la distinction entre législatif et exécutif. »

— Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie (1923), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Seuil, 1988, p. 52


« Rien n’est plus moderne aujourd’hui que la lutte contre le politique. Financiers américains, techniciens de l’industrie, socialistes marxistes et révolutionnaires anarcho-syndicalistes unissent leurs forces avec le mot d’ordre qu’il faut éliminer la domination non objective de la politique sur l’objectivité de la vie économique. Il ne doit subsister que des tâches techniques, organisationnelles, économiques, sociologiques, les problèmes politiques sont censés disparaître. D’ailleurs, le type de pensée économique et technique qui domine aujourd’hui est incapable de percevoir une idée politique. L’État moderne semble être réellement devenu ce que Max Weber voit en lui : une grande entreprise. En général, une idée politique n’est comprise qu’à partir du moment où l’on réussit à mettre en évidence le cercle des personnes qui a un intérêt économique plausible à s’en servir à son avantage. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1922), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 73


« [...] la haine de la royauté et de l’aristocratie pousse le bourgeois libéral vers la gauche ; la crainte pour sa propriété menacée par la démocratie et le socialisme radicaux le repousse à droite, vers une royauté puissante dont l’armée puisse le protéger ; c’est ainsi qu’il balance entre ses deux ennemis et qu’il voudrait les tromper tous deux. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1922), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 69


« Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1922), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 46


« L’ère de l’État est à son déclin. [...] L’État, modèle de l’unité politique, et investi d’un monopole étonnant entre tous, celui de la décision politique, l’État, ce chef-d’oeuvre de la forme européenne et du rationalisme occidental, est détrôné. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1922), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 42-43


« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle. »

— Carl Schmitt, Théologie politique (1922), trad. Jean-Louis Schlegel, éd. Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1988 (ISBN 9782070713776), p. 15


« Il appartient au concept d’exception de surgir sans abroger et de déroger sans suspendre. »

— Carl Schmitt, La Dictature (1921), trad. Mira Köller et Dominique Séglard, éd. Seuil, coll. « Points », 2015 (ISBN 9782757851241), p. 299


« Pour le libéralisme continental de l’État de droit des XVIIIe et XIXe siècles du moins, la valeur historique de la monarchie absolue résidait précisément en ceci qu’elle avait détruit les pouvoirs féodaux et les états, créant ainsi une souveraineté, au sens moderne d’unité de l’État. L’unité ainsi réalisée constitue la condition fondamentale de la littérature révolutionnaire du XVIIIe siècle. L’effort pour isoler l’individu et pour éliminer tout groupement social au-dedans de l’État afin qu’individu et État se retrouvent face à face a été souligné dans l’exposé de la théorie du despotisme légale et du Contrat social. Condorcet, qui représente ici encore de la façon la plus pure le type de cette époque, a indiqué ceci, dans son discours sur la République : nous ne vivons plus, aujourd’hui, à une époque où il existe au-dedans de l’État des groupements et des classes puissantes, les association puissantes ont disparu. Tant qu’elles existaient, un despotisme armé était nécessaire pour les réprimer, mais maintenant l’individu isolé par l’égalité universelle se trouve face à la totalité unifiée, et il faut bien peu de force pour forcer les individus à l’obéissance. »

— Carl Schmitt, La Dictature (1921), trad. Mira Köller et Dominique Séglard, éd. Seuil, coll. « Points », 2015 (ISBN 9782757851241), p. 280


« Le législateur se trouve en dehors de l’État mais à l’intérieur du droit, le dictateur hors du droit mais à l’intérieur de l’État. Le législateur n’est rien d’autre que le droit non encore constitué, et le dictateur n’est rien d’autre que le pouvoir constitué. Dès qu’une combinaison est réalisée qui permet de conférer le pouvoir du dictateur au législateur, de fabriquer un législateur dictatorial et un dictateur constituant, la dictature de commissaire se transforme en dictature souveraine. »

— Carl Schmitt, La Dictature (1921), trad. Mira Köller et Dominique Séglard, éd. Seuil, coll. « Points », 2015 (ISBN 9782757851241), p. 196


« [...] la dictature est une sage invention de la république romaine, le dictateur est un magistrat romain extraordinaire qui a été établi après l’expulsion des rois afin qu’existe un puissant imperium pendant les périodes de périls, qui ne soit pas entravé, comme c’était le cas de l’autorité des consuls, par la collégialité, le droit de veto des tribuns de la plèbe et la provocatio ad populum (l’appel au peuple). Le dictateur, qui est désigné par le consul, sur requête du Sénat, a pour mission de mettre fin à la situation périlleuse qui est la raison de sa nomination, soit en menant une guerre (dictatura rei gerendae), soit en réprimant une sédition intérieure (dictatura seditionis sedandae) ; par la suite, il a également été désigné pour régler des affaires particulières, telles que l’organisation d’une assemblée du peuple (comitiorum habendorum), le plantage du clou qui, pour des raisons religieuses, devait être l’acte du praetor maximus (clavi figendi), la direction d’une enquête, la détermination des jours fériés, etc. Le dictateur est nommé pour six mois, mais selon une louable coutume de l’époque républicaine, après avoir rempli sa mission, il abandonne sa charge dès avant l’expiration de ce délai. Il n’est pas lié par les lois et il est une sorte de roi ayant un pouvoir illimité de vie et de mort. »

— Carl Schmitt, La Dictature (1921), trad. Mira Köller et Dominique Séglard, éd. Seuil, coll. « Points », 2015 (ISBN 9782757851241), p. 67-68


« L’État communiste dans sa totalité s’appelle dictature parce qu’il a pour sens d’être l’instrument d’une transition vers une situation juste dont il est la condition de réalisation, et que sa justification réside dans une norme qui est non seulement purement politique, voire positive-constitutionnelle, mais est celle d’une philosophie de l’histoire. Ainsi, la dictature [...] est-elle également devenue une catégorie de la philosophie de l’histoire. »

— Carl Schmitt, La Dictature (1921), trad. Mira Köller et Dominique Séglard, éd. Seuil, coll. « Points », 2015 (ISBN 9782757851241), p. 60


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Ernst Jünger et Carl Schmitt, Rambouillet, octobre 1941
Carl Schmitt et Ernst Jünger, Plettenberg, 1978

Bibliographie

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