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Citations

« J. F. — Pensez-vous sincèrement que les gens aient besoin d’être stimulés par ces élucubrations, même de façon oblique, pour ressentir les choses comme ils les ressentent ? Si l’on tient à établir un lien entre l’univers des discours et la manière dont les gens interprètent leur expérience, il y a selon moi quelque chose de plus frappant qui mériterait d’être creusé ; c’est cette occupation obsessionnelle de nos media par la seconde guerre mondiale ; plus exactement par le nazisme. Vous ne pouvez pas vous en souvenir, mais dans les années cinquante, soixante, Hitler était pratiquement oublié. Nous vivions dans l’euphorie de la reconstruction et, notre actualité politique, c’était quoi ? La guerre froide et les conflits coloniaux, c’est-à-dire des évènements concomitants. Les communistes célébraient pieusement le mensonge de leurs 75 000 fusillés et les anciens de la Résistance se retrouvaient rituellement devant les monuments aux morts. C’était tout. Ce passé, pourtant proche, était en cours de banalisation. Rien d’ailleurs que de très ordinaire dans cette lente érosion ; c’est un critère de vitalité. Aujourd’hui, en revanche, ce passé fait l’objet de constants rappels incantatoires. Hitler est partout, accommodé à toutes les sauces. C’est le nouveau croquemitaine d’une société qui retombe en enfance et se récite des contes effrayants avec spectres, fantômes et golem...

P. B. — Vous ne croyez pas aux revenants ?

J. F. — J’incline à penser que ces revenants sont utiles à certains. Hitler est devenu un argument polémique, et pas seulement en politique. À défaut de vouloir faire l’histoire contemporaine, nous fabriquons du déjà-vu, du simulacre, du pastiche. L’Hitlérisation du présent est un symptôme. »

— Michel Marmin, « Conversation avec Julien Freund par Pierre Bérard », dans Liber amicorum Alain de Benoist (2004), éd. Les Amis d’Alain de Benoist, 2004, p. 26


« Les sentinelles de l’antifascisme sont la maladie de l’Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l’humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. »

— Michel Marmin, « Conversation avec Julien Freund par Pierre Bérard », dans Liber amicorum Alain de Benoist (2004), éd. Les Amis d’Alain de Benoist, 2004, p. 23


« Quels que soient les groupements et la civilisation, quelles que soient les générations et les circonstances, la perte du sentiment d’identité collective est génératrice et amplificatrice de détresse et d’angoisse. Elle est annonciatrice d’une vie indigente et appauvrie et, à la longue, d’une dévitalisation, éventuellement, de la mort d’un peuple ou d’une civilisation. Mais il arrive heureusement que l’identité collective se réfugie aussi dans un sommeil plus ou moins long avec un réveil brutal si, durant ce temps, elle a été trop asservi. »

— Julien Freund, Politique et impolitique (1987), éd. Sirey, 1987, p. 138


« [...] la guerre des partisans et le terrorisme actuel sont en quelque sorte la reproduction terrienne du corsaire et du pirate. À la différence du corsaire, qui obéit sur mer à une loi terrienne, puisqu’il dispose de l’aval d’un gouvernement territorial, le pirate exerce le pouvoir d’un forban, d’un tyran, qui assoit sa domination sur l’irrégularité, tant du point de vue politique qu’économique. La figure actuelle du partisan est pour ainsi dire la réplique terrienne du corsaire, celle du terroriste la réplique du pirate. Sans doute y a-t-il une logique jusque dans l’irrégularité, en ce sens qu’il fut parfois délicat de tracer une limite entre le corsaire et le pirate ; il en est de même dans le cas du partisan et du terroriste. Le pirate est l’archétype marin du terroriste. En effet, tout comme le pirate fut en même temps un criminel, un brigand, un écumeur, et un flibustier contrôlant politiquement, au nom de son arbitraire, des côtes et des îles, le terroriste actuel est à la fois un malfaiteur, voire un criminel, qui ne recule pas devant des hold-up meurtriers, et un être qui se réclame d’un idéal politique. »

— Julien Freund, Postface à « Terre et Mer » de Carl Schmitt (1985) (1942), trad. Jean-Louis Pesteil, éd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017 (ISBN 9782363712059), La thalassopolitique, p. 214-215


« Le génie européen a été unique au regard des avantages qu’il a apportés au monde. Il n’est pas exclu qu’il puisse également exister un génie de la décadence. [...] Ce ne serait plus une décadence par épuisement, mais par accomplissement de son destin. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 392


« La baisse de la natalité est un des signes du renoncement à la vie, soit pour jouir égoïstement du présent, soit par peur de l’avenir. En l’occurrence elle est l’expression du refus de défendre les valeurs de la civilisation à laquelle on appartient. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 387


« [...] il apparaît que la condition première de la défense de la civilisation européenne consiste dans le réveil, de la part des Européens, de leur fierté, sans laquelle ils ne retrouveront pas la confiance en eux-mêmes. Sans amour-propre on ne saurait aimer les autres, ce qui veut dire que celui qui est mécontent de soi est également mécontent des autres. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 385


« L’Europe a inventé la science expérimentale et mathématique, ainsi que les sciences humaines, historiques, sociologique, psychologique ou économique. Elle a été l’ouvrière de la rationalisation technique, elle a engendré en politique la démocratie, élaboré en économie le système de l’abondance, etc. On peut lui faire grief de diverses profanations et excès, il n’empêche que cette œuvre est grandiose. De plus, elle est la seule civilisation qui a découvert les autres civilisations dans l’espace et le temps. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 381


« Les revendications parfois tapageuses des non-Européens traduisent leur insatisfaction de n’être point encore à certains égards des Européens. Il est tout simplement stupide de la part des Européens d’essayer de dissimuler ces aspects par une tortueuse condescendance [...]. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 377


« L’application de la technique matérielle aux organisations humaines a eu pour effet de considérer la société comme une création artificielle, qu’on peut faire, défaire et refaire autrement, à son gré, au cas où elle ne conviendrait pas ou plus. La révolution est l’héritière de cette conception artificialiste des sociétés. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 377


« [...] les idées progressistes sont une source de décadence. »

— Julien Freund, La Décadence (1984), éd. Sirey, 1984, p. 374


« On ne connaît un destin historique qu’une fois qu’il est achevé. L’Europe semble avoir accompli le sien, ce qui n’exclut nullement qu’elle continuera, sous une autre forme que celle de la Renaissance, à participer à l’histoire mondiale dont elle fut l’initiatrice. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 143


« L’État peut dépérir, mais la politique subsistera ; le capitalisme peut péricliter, mais l’économie persistera. C’est en ce sens qu’il y a une essence du politique ou une essence de l’économique. L’État par exemple n’est que la configuration historique de l’unité politique dans le contexte d’une civilisation déterminée. Il n’est pas éternel, pas plus que ne le fut la cité grecque ou l’Empire romain. Il n’est qu’une modalité de la substance politique qui a été présente et le restera dans toute civilisation. Peut-être la méditation sur la fin de la Renaissance sera-t-elle l’occasion d’une réconciliation avec l’éternelle métaphysique. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 107


« Sans doute l’Europe continuera à s’appeler Europe, mais uniquement par dénomination géographique, sans le contenu que la notion a eu durant l’ère de la Renaissance. Ce contenu s’est éparpillé dans le monde entier, où ses fragments seront peut-être le germe d’une autre civilisation. De nouvelles forces sont en train de monter, qui profiteront de l’héritage européen en le transformant profondément. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 106


« Il faut, je crois, prêter la plus grande attention à l’ouvrage de G. Héraud, L’Europe des ethnies, qui substitue au nationalisme étatique le nationalisme dit régionaliste. Son idée fondamentale tend à opposer à l’État traditionnel une fédération de provinces jouissant d’un statut de relative autonomie, quitte à briser les frontières reconnues des États actuels. L’analyse de Héraud est incontestablement la plus logique de toutes celles des partisans de l’Europe unifiée, car elle montre que l’intégration européenne n’est possible qu’à la condition de détruire les États européens classiques ou alors l’Europe n’est qu’un leurre de propagande électoraliste. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 104-105


« L’État est la forme d’unité politique issue de la Renaissance ; il caractérise celle-ci comme la cité était propre à la civilisation grecque et la féodalité à la civilisation médiévale. Certes, toutes les collectivités politiques européennes ne se sont pas constituées en État à la même époque ; ainsi l’Allemagne et l’Italie ne le firent qu’au cours du XIXe siècle, ce qui explique en partie pourquoi ces deux pays n’ont guère participé, comme l’Espagne, l’Angleterre et la France, à la découverte du monde. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 103


« Tout comme l’Empire romain qui n’a pas succombé uniquement sous les coups de l’extérieur, l’Europe s’altère de l’intérieur en perturbant l’esprit qui a stimulé son ascension et l’a conduit à la maîtrise du monde. Les Européens contre l’Europe ! Ils sont pour une partie responsables de leur propre décadence. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 97


« [...] l’accélération de l’urbanisation et la monotonie de l’architecture contemporaine. Les villes d’autrefois avaient presque toutes leur cachet spécial et particulier. De nos jours le même type de construction et de logement tend à se généraliser, surtout dans les mégapoles qui se multiplient. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 91


« À partir de la Renaissance on savait que la superficie du globe était limitée et que, avec le temps et en se donnant les moyens adéquats, on pourrait dénombrer l’ensemble des terres et des mers. Dans un ouvrage mal connu hors de l’Allemagne, C. Schmitt suggère l’hypothèse selon laquelle cette prise de conscience de la limite a déterminé implicitement diverses structures sociales, en particulier l’apparition de l’État moderne et d’un droit international, le ius publicum europaeum, c’est-à-dire une manière stricte d’organiser l’espace. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 23


« Toute grande civilisation a ses Barbares, qu’elle tente de conquérir, avec la volonté plus ou moins ferme de les assimiler, jusqu’au moment où elle constate que la relation a été réciproque et qu’elle s’épuise elle-même à ce jeu. Sa décadence est donc déjà inscrite dans son expansion. Aucune civilisation n’a échappé à ce destin, et, comme le soulignait Paul Valéry, toutes sont mortelles. »

— Julien Freund, La Fin de la Renaissance (1980), éd. Presses universitaires de France, 1980, p. 13


« Sachons être suspect. C’est le signe, aujourd’hui, d’un esprit libre et indépendant, surtout en milieu intellectuel. Il faut, en effet, choisir entre la flatterie de l’idéologie dominante et la suspicion dont les parangons de cette idéologie accablent ceux qui refusent de se plier à la nouvelle mode. Vous n’êtes pas satisfait de l’explication jargonnante par la lutte des classes, l’aliénation et la distinction entre la structure et la superstructure : eh bien ! Vous n’êtes qu’un petit esprit ! On vous fera grief de vos analyses les mieux fondées même si vous indiquez clairement leurs limites, et l’on essaiera de démontrer qu’elles ont une source idéologique souterraine, dont vous n’avez pas conscience ou dont vous ne voulez pas prendre conscience, par conséquent que vous êtes le jouet de déterminations sociales de classe ou bien un être de mauvaise foi qui renonce à reconnaître ces déterminations. De la suspicion à la culpabilité il n’y a qu’un pas, vite franchi, surtout quand l’accusation se fait au nom des bons sentiments de la conscience dite mondiale.

L’institution de la censure est certes supprimée dans nos pays, mais les censeurs subsistent et l’hypocrisie aussi. Pour obtenir les faveurs des chapelles, proclamez à tort et à travers votre attachement à la cause de la paix et manifestez hautement votre horreur de la guerre, en prenant soin au moment d’un conflit de ne pas examiner les choses de près. Au contraire prenez immédiatement parti pour le camp désigné à l’avance comme le porteur du sens de l’histoire et considérez-le sans autre forme de procès comme le partisan de la paix, même s’il a pris l’initiative de l’agression et s’il déclare ouvertement mener une guerre révolutionnaire. La dialectique est suffisamment ingénieuse pour confirmer votre choix après coup en découvrant les raisons souterraines de la guerre et en démasquant les véritables fauteurs : la guerre révolutionnaire est une "guerre pour la paix" ! »

— Julien Freund, Préface à « La Notion de politique » de Carl Schmitt (octobre 1971), trad. Marie-Louise Steinhauser, éd. Flammarion, coll. « Champs Classiques », 2006 (ISBN 9782081228733), p. 7


« Il faut considérer comme sans fondement toutes les doctrines qui voient dans l’âge industriel ou économique le successeur pacifique de l’âge militaire, non seulement parce que l’ennemi politique ne se réduit pas au seul ennemi militaire, mais encore parce que la politique pénètre d’inimitié l’économie, la science, la morale et la technique aussi bien que les armées.

Il est fort probable que la violence durera aussi longtemps que l’homme ; elle est de tous les temps, encore qu’elle se montre plus virulente à certaines époques qu’à d’autres, quand l’idéologie lui prépare le terrain. De ce point de vue il est indiscutable que le socialisme révolutionnaire (Blanqui, Marx, Sorel, Lénine) a été, avant le fascisme, le propagateur de la violence dans le monde contemporain. Il est naïf de croire que le progrès de la civilisation pourrait substituer l’ère de la sérénité à celle de la violence. Au contraire, les nouveaux moyens que le progrès met à la disposition de l’homme, celui-ci les utilise non seulement au service de la guerre (nous le constatons tous les jours), mais de toutes les formes de la violence, révolutionnaire, psychologique, etc. Loin de décroître en intensité elle s’adapte sans cesse aux nouvelles conditions. Pour les mêmes raisons on ne saurait parler de peuples doux. Il se trouve seulement qu’à certaines époques de l’histoire la civilisation d’une collectivité parvient à limiter l’usage de la violence. »

— Julien Freund, L’Essence du politique (1965), éd. Sirey, 1986, p. 515


« Là où il n’y a pas de patrie, les mercenaires ou l’étranger deviennent les maîtres. »

— Julien Freund, L’Essence du politique (1965), éd. Sirey, 1986, p. 52


Le politique est « originairement substantiel à la société en tant qu’essence »

— Julien Freund, L’Essence du politique (1965), éd. Sirey, 1986, p. 25
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