Robert Brasillach, Les Sept Couleurs (1939), éd. Godefroy de Bouillon, 1999 (ISBN 9782841910984), p. 222-225.


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De même que, formé par l’Encyclopédie et ses principes, le jeune et sensible démocrate découvrait une exaltation nouvelle à la naissance des États-Unis d’Amérique, créés par la franc-maçonnerie, de même, au vingtième siècle, c’est l’Italie qui vint apporter la première réalisation politique d’une doctrine nationaliste et sociale. Puis, le Portugal d’Oliveira Salazar, fondé sur des principes chrétiens, donna le modèle d’un système corporatif inspiré de La Tour du Pin, et qui n’avait été appliqué en Italie que dans les cadres d’une administration plus rigoureusement étatiste. Lorsque l’Allemagne, à son tour, eut accompli sa révolution, elle y apporta évidemment sa personnalité propre, qu’il n’est pas question de transférer ailleurs. Mais sans vouloir entrer dans le détail de ses dogmes raciaux, religieux ou impérialistes, il est certain qu’elle a donné au national-socialisme tout au moins son souci de prosélytisme et tout au moins ses fêtes. Le culte de la patrie se traduisait en cérémonies d’une beauté souveraine, en offices diurnes et nocturnes, en nuits de Walpurgis éclairées par les projecteurs et par les torches, en musiques énormes, en chansons de guerre et de paix chantées par des millions d’hommes. Enfin, dans les années qui suivirent, les divers mouvements nationalistes, soit vainqueurs, soit candidats au pouvoir, quelles que soient leurs divergences, apportèrent chacun un trait particulier, ou renforcèrent la notion d’une révolution universelle, analogue à celle qui brûla toute l’Europe en 1848 par exemple.

On s’intéressait aux tentatives de création d’un sentiment national turc par Mustapha Kemal. On regardait le feu s’allumer un peu partout, briller, d’une flamme faible ou haute, on voyait tout le vieux monde menacé peu à peu. C’était sur les plaines et les canaux de Hollande, parmi les pâturages, les champs de tulipes et les armées à bicyclette, le National-Socialistische Beweging de Mussert ; c’était dans les faubourgs de Londres même, dans les prairies anglaises, les mines anglaises, la British Union of fascisms d’Oswald Mosley, c’étaient les mouvements de Suisse romande ou alémanique, et les Bulgares avec la Défense de la patrie, les Légions nationales, les Danois avec leurs nationaux-socialistes, les Norvégiens avec leur Association Nationale ; tous les peuples, tour à tour, des trouées balkaniques aux secs paysages de Grèce, aux fjords glacés, des plaines rouges de Castille aux monts verts et blancs où résonne une cloche perdue, commençaient une longue nuit agitée et insomnieuse, où ils entendaient chanter, chacun à leur mode : « Nation, réveille-toi ! » En Roumanie, Cornéliu Codreanu adressait à ses légionnaires ses discours pleins d’une poésie rude et bariolée, faisait appel au sacrifice, à l’honneur, à la discipline, réclamait cet « état d’illumination collective, rencontré jusqu’ici dans les grandes expériences religieuses » qu’il appelait l’état « d’oecuménicité nationale », et créait le mouvement original, monastique et militaire, de la Garde de Fer. En Belgique, enfin, terre de libéralisme traditionnel, le rexisme, indépendamment de ses autres mérites, mettait, à cause de son chef de trente ans, l’accent sur l’élément le plus spectaculaire et le plus attirant du monde nouveau : la jeunesse. L’univers flambait, l’univers chantait et se rassemblait, l’univers travaillait. Partout, les regards étaient tournés vers ce que certains, dès 1933, accroupis devant leur mur des Lamentations, nommaient en gémissant, et sans distinction, le fascisme.

Et pour finir, alors que toutes les doctrines diverses ou bien attendaient encore le pouvoir, ou bien s’en étaient emparées sans longue guerre (même le nationalisme allemand), une lutte terrible éclatait sur l’une des plus nobles terres de l’Europe, et opposait en combats sanglants le fascisme et l’antifascisme. L’Espagne ainsi achevait de transformer en combat spirituel et matériel à la fois, en croisade véritable, la longue opposition qui couvait dans le monde moderne. Ses brigades internationales, des deux côtés, scellaient dans le sang les alliances. Par toute la planète, des hommes ressentaient comme leur propre guerre, comme leurs propres victoires et leurs propres défaites, le siège de Tolède, le siège d’Oviedo, la bataille de Teruel, Guadalajara, Madrid et Valence. Le coolie chinois, le manoeuvre de Belleville, le voyou perdu dans les brouillards de Londres, le chercheur d’or pauvre et déçu, le maître des pâturages hongrois ou argentins, pouvaient tressaillir d’angoisse ou de plaisir devant quelque nom mal orthographié, dans quelque journal inconnu. Dans la fumée grise des obus, sous le ciel en feu parcouru par les avions de chasse, russes contre italiens, les contradictions idéologiques se résolvaient, en cette vieille terre des actes de foi et des conquérants, par la souffrance, par le sang, par la mort. L’Espagne donnait sa consécration et sa noblesse définitive à la guerre des idées.

Ainsi se créent les mythes. L’homme à qui Mussolini a déclaré tout devoir, Georges Sorel, a longuement expliqué dans les Réflexions sur la violence, la valeur créatrice des mythes. « Il importe fort peu, déclarait-il, de savoir ce que les mythes renferment de détails destinés à apparaître sèchement sur le plan de l’histoire future ; ce ne sont pas des almanachs astrologiques... Il faut juger les mythes comme des moyens d’agir sur le présent... » Le mythe du fascisme a ceci pour lui, que n’avait pas le mythe de la grève générale cher à Sorel, d’avoir été incarné et plusieurs fois, sous diverses formes. Mais sa vertu vient d’ailleurs. Elle vient bien de sa puissance, qui fait de lui, selon la définition sorélienne, « une organisation d’images capables d’évoquer instinctivement tous les sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée... contre la société moderne ». Les flammes de la guerre espagnole ont achevé de donner à ces images leur pouvoir d’expansion, leur coloration religieuse.

(Notre Combat, Introduction à l’esprit fasciste.)


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