Ménexène - Platon
Platon, Ménexène, trad. Émile Chambry, éd. Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 1993 (ISBN 9782080701466), p. 300-306.
VIII. — Nés et élevés de cette manière, les ancêtres de ces guerriers avaient, pour se gouverner, fondé un État, dont il convient de dire quelques mots. Car c’est l’État qui forme les hommes et les rend bons, s’il est bon, mauvais, s’il est le contraire. Il est donc indispensable de montrer que nos pères ont été élevés dans un État bien réglé, qui les a rendus vertueux, ainsi que les hommes de nos jours, au nombre desquels il faut compter les morts qui sont devant nous. C’était alors le même gouvernement qu’aujourd’hui, le gouvernement de l’élite, sous lequel nous vivons à présent et avons presque toujours vécu depuis ce temps-là. Les uns l’appellent démocratie, les autres de tel autre nom qu’il leur plaît ; mais c’est en réalité le gouvernement de l’élite avec l’approbation de la foule. Et en effet, nous avons toujours des rois ; ils le sont tantôt en vertu de la naissance, tantôt en vertu de l’élection. Mais le gouvernement de l’État est pour la plus grande part aux mains de la foule, qui confie les charges et le pouvoir à ceux qui, en chaque occasion, lui paraissent être les meilleurs, et nul n’en est exclu ni par l’infirmité, ni par la pauvreté, ni par l’obscurité de sa naissance, ni préféré pour les avantages contraires, comme il arrive dans d’autres États. Il n’y a qu’une règle, c’est que celui qui paraît être habile et vertueux commande et gouverne. La cause de cette constitution qui nous régit est l’égalité de naissance. Les autres États sont formés de populations hétérogènes de toute provenance, et cette diversité se retrouve dans leurs gouvernements, tyrannies et oligarchies ; dans ces États, les citoyens sont traités en esclaves par un petit nombre, et ce petit nombre est regardé comme un maître par la foule. Nous et les nôtres, qui sommes tous frères, étant issus d’une mère commune, nous ne nous regardons pas comme esclaves, ni comme maîtres les uns des autres ; mais l’égalité d’origine établie par la nature nous oblige à rechercher l’égalité politique selon la loi et à ne reconnaître d’autre supériorité que celle de la vertu et de la sagesse.
IX. — De là vient que les pères de ces soldats et de nous-mêmes et ces soldats eux-mêmes, nourris dans une pleine liberté, après avoir reçu une noble naissance, ont accompli sous les yeux du monde entier tant de belles actions publiques et particulières, regardant comme un devoir de combattre pour la liberté contre des Grecs en faveur des Grecs et contre les barbares en faveur de la Grèce entière.
XIII. — Et cette guerre contre les barbares, toute la cité la soutint jusqu’au bout dans l’intérêt des autres peuples de même langue aussi bien que dans le sien. [...]
Par la suite, la guerre étant devenue générale, comme tous les Grecs avaient envahi et ravagé notre territoire, payant ainsi notre ville d’une indigne reconnaissance, les nôtres les vainquirent dans une bataille navale et capturèrent leurs chefs, les Lacédémoniens, à Sphagie. Au lieu de les mettre à mort comme ils le pouvaient, ils les épargnèrent, les rendirent et firent la paix, estimant que contre les peuples de même race il ne faut pas pousser la guerre au-delà de la victoire ni sacrifier au ressentiment particulier d’un État la communauté grecque, tandis que contre les barbares il faut aller jusqu’à l’extermination.
XVII. — Mais le roi eut peur de notre ville, quand il vit les Lacédémoniens renoncer à la guerre maritime. Désireux de quitter notre alliance, il réclama les Grecs du continent, que les Lacédémoniens lui avaient livrés précédemment, si l’on voulait qu’il continuât son concours à nous et à nos alliés. Il s’attendaient à un refus, qui servirait de prétexte à sa désertion. Et il fut déçu du côté des autres alliés : les Corinthiens, les Argiens, les Béotiens et le reste des alliés consentirent à cet abandon ; ils convinrent et jurèrent, s’il voulait leur fournir de l’argent, de livrer les Grecs du continent. Seuls, nous n’eûmes pas le cœur de les lui abandonner ni de prêter serment. Et si les sentiments généreux et libres de notre ville sont si fermes, si sains et si naturellement hostiles au barbare, c’est que nous sommes des Grecs pur sang, sans mélange de barbares. Il n’y a point de Pélops, de Cadmos, d’Égyptos, de Danaos, sans parler de tant d’autres, barbares de nature et grecs par la loi, qui vivent côte à côte avec nous ; nous sommes de vrais Grecs, sans alliage de barbares, d’où la haine sans mélange dont notre cité est imbue pour la race étrangère. Quoi qu’il en soit pourtant, nous fûmes de nouveau réduits à l’isolement pour n’avoir pas voulu commettre une action honteuse et impie en livrant des Grecs à des barbares.
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