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Immigration

« A la fin de Race et histoire, je soulignais un paradoxe. C’est la différence des cultures qui rend leur rencontre féconde. Or ce jeu en commun entraîne leur uniformisation progressive : les bénéfices que les cultures retirent de ces contacts proviennent largement de leurs écarts qualitatifs ; mais, au cours de ces échanges, ces écarts diminuent jusqu’à s’abolir. N’est-ce pas ce à quoi nous assistons aujourd’hui ? […] Que conclure de tout cela, sinon qu’il est souhaitable que les cultures se maintiennent diverses, ou qu’elles se renouvellent dans la diversité ? Seulement il faut consentir à en payer le prix : à savoir, que des cultures attachées chacune à un style de vie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes ; et que cette disposition est saine, nullement – comme on voudrait nous le faire croire – pathologique. Chaque culture se développe grâce à ses échanges avec d’autres cultures. Mais il faut que chacune y mette une certaine résistance, sinon, très vite, elle n’aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger. L’absence et l’excès de communication ont l’un et l’autre leur danger. »

« Mono-culturel ne veut rien dire, parce qu’il n’y a jamais eu de société qui soit telle. Toutes les cultures résultant de brassages, d’emprunts, de mélanges, qui n’ont cessé de se produire, bien que sur des rythmes différents, depuis l’origine des temps. Toutes pluri-culturelles par leur mode de formation, les sociétés ont élaboré chacune au cours des siècles une synthèse originale. A cette synthèse, qui constitue leur culture à un moment donné, elles tiennent plus ou moins rigidement. Qu’il y ait aujourd’hui une culture japonaise, une culture américaine, même compte tenu de différences internes, qui peut le nier ? Il n’y a pas de pays qui soit plus le produit d’un mélange que les Etats-Unis, et pourtant, une American way of life existe, à quoi tous les habitants du pays sont attachés quelle que soit leur origine ethnique.

Puisque vous m’interrogez sur la France, je vous répondrai qu’au XVIII è et XIX è siècles, son système de valeurs représentait, pour l’Europe et au-delà, un pôle d’attraction. L’assimilation des immigrés ne posait pas de problème. Il n’y en aurait pas davantage aujourd’hui, si, dès l’école primaire et après, notre système de valeurs apparaissait à tous aussi solide, aussi vivant que par le passé. […] Si les sociétés occidentales ne sont pas capables de conserver ou de susciter des valeurs intellectuelles et morales assez puissantes pour attirer des gens venus du dehors et pour qu’ils souhaitent les adopter, alors, sans doute, il y a sujet de s’alarmer. »

« J’ai commencé à réfléchir à un moment où notre culture agressait d’autres cultures dont je me suis alors fait le défenseur et le témoin. Maintenant, j’ai l’impression que le mouvement s’est inversé et que notre culture est sur la défensive vis-à-vis des menaces extérieures, parmi lesquelles figure probablement l’explosion islamique. Du coup je me sens fermement et ethnologiquement défenseur de ma culture. »

« La Révolution française a mis en circulation des idées et des valeurs qui ont fasciné l’Europe puis le monde, et qui procurèrent à la France, pendant un demi-siècle, un prestige et un rayonnement exceptionnels.

On peut toutefois se demander si les catastrophes qui se sont abattues sur l’Occident n’ont pas aussi là leur origine.

On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et qu’en broyant ceux-ci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes.

La liberté véritable ne peut avoir qu’un contenu concret : elle est faite d’équilibres entre des petites appartenances, de menues solidarités : ce contre quoi les idées théoriques qu’on proclame rationnelles s’acharnent ; quand elles sont parvenues à leurs fins, il ne reste plus qu’à s’entre-détruire. Nous observons aujourd’hui le résultat. »

« J’ai souligné à plusieurs reprises que la fusion progressive de populations jusqu'alors séparées par la distance géographique, ainsi que par des barrières linguistiques et culturelles, marquait la fin d'un monde qui fut celui des hommes pendant des centaines de millénaires, quand ils vivaient en petits groupes durablement séparés les uns des autres et qui évoluaient chacun de façon différente, tant sur le plan biologique que sur le plan culturel. Les bouleversements déclenchés par la civilisation industrielle en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de communication ont abattu ces barrières. En même temps se sont taries les chances qu'elles offraient pour que s'élaborent et soient mises à l'épreuve de nouvelles combinaisons génétiques et des expériences culturelles. Or, on ne peut se dissimuler qu'en dépit de son urgente nécessité pratique et des fins morales élevées qu'elle s'assigne, la lutte contre toutes les formes de discriminations participe de ce même mouvement qui entraîne l'humanité vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques et dans les musées parce que nous nous sentons de moins en moins certains d'être capable d'en produire d'aussi évidentes.

Sans doute nous berçons-nous du rêve que l'égalité et la fraternité règneront un jour entre les hommes sans que soient compromise leur diversité. Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé, capable seulement de donner le jour à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus sinon même à leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l'originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s'amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité. »

  • Claude Lévi-Strauss, « Race et culture », in : Claude Lévi-Strauss (coll.), Paris, « Idées », Gallimard, 1979, pp. 460-462

« Il y a simultanément à l’œuvre, dans les sociétés humaines, des forces travaillant dans des directions opposées : les unes tendent au maintien et même à l’accentuation des particularismes ; les autres agissant dans le sens de la convergence et de l’affinité. […] Quand on étudie de tels faits – et d’autres domaines de la civilisation , comme les institutions sociales, l’art, la religion, en fourniraient aisément de semblables – on en vient à se demander si les sociétés humaines ne se définissent pas, eu égard à leurs relations mutuelles, par un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne peuvent, non plus, descendre sans danger. »

« L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans uen situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. «  Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit »

« C’est dans la mesure même où l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l’on s’identifie le plus complètement avec celles que l’on essaye de nier. En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »

« Car les tentatives faites pour connaître la richesse et l’originalité des cultures humaines, et pour les réduire à l’état de répliques inégalement arriérées de la civilisation occidentale, se heurtent à une autre difficulté, qui est beaucoup plus profonde : en gros […] toutes les sociétés humaines ont derrière elles un passé qui est approximativement du même ordre de grandeur. Pour traiter certaines sociétés comme des « étapes » du développement de certaines autres, il faudrait admettre qu’alors que, pour ces dernières, il se passait quelque chose, pour celles-là il ne se passait rien – ou fort peu de choses. Et en effet, on parle volontiers des « peuples sans histoire » (pour dire parfois que ce sont les plus heureux). Cette formule elliptique signifie seulement que leur histoire est et restera inconnue, mais non qu’elle n’existe pas. Pendant des dizaines et même des centaines de millénaires, là-bas aussi, il y a eu des hommes qui ont aimé, haï, souffert, inventé, combattu. En vérité, il n’existe pas de peuples enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n’ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. »

« La chance qu’a une culture de totaliser cet ensemble complexe d’inventions de tous ordres que nous appelons une civilisation est fonction du nombre et de la diversité des cultures avec lesquelles elle participe à l’élaboration – le plus souvent involontaire – d’une commune stratégie. Nombre et diversité, disons-nous […] Il n’y a pas de société cumulative en soi et par soi. L’histoire cumulative n’est pas la propriété de certaines races ou de certaines cultures qui se distingueraient ainsi des autres. Elle résulte de leur conduite plutôt que de leur nature . Elle exprime une certaine modalité d’existence des cultures qui n’est autre que leur manière d’être ensemble . En ce sens, on peut dire que l’histoire cumulative est la forme d’histoire caractéristique de ces super-organismes sociaux que constituent les groupes de sociétés, tandis que l’histoire stationnaire – si elle existait vraiment – serait la marque de ce genre de vie inférieur qui est celui des sociétés solitaires. L’exclusive fatalité, l’unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul. »

Civilization

« Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. »

Equality

« La simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes et de la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races ou de cultures, a quelque chose de décevant pour l'esprit, parce qu'elle néglige une diversité de fait, qui s'oppose à l'observation... »

  • Claude Lévi-Strauss, Race et histoire (1952), éd. Folio, coll. Essais, 1989 (ISBN 9782070324132), chap. 3, p. 22

Islam

« Tout l’Islam semble être une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. D’une main, on les précipite, de l’autre on les retient au bord de l’abîme. Vous inquiétez vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive au burkah moderne...

[...] Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables ; car s’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c’est plus grave) incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une «  néantisation » d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut s’avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants. »

« Nous sommes contaminés par l’intolérance islamique »

Death

« Si la pensée des Bororo (pareils en cela aux ethnographes) est dominée par une opposition fondamentale entre nature et culture, il s'ensuit que, plus sociologues encore que Durkheim et Comte, la vie humaine relève selon eux de l'ordre de la culture. Dire que la mort est naturelle ou antinaturelle perd son sens. En fait et en droit, la mort est à la fois naturelle et anticulturelle. C'est-à-dire que chaque fois qu'un indigène meurt, non seulement ses proches mais la société tout entière sont lésés. Le dommage dont la nature s'est rendue coupable envers la société entraîne au détriment de la première une dette, terme qui traduit assez bien une notion essentielle chez les Bororo, celle de mori. Quand un indigène meurt, le village organise une chasse collective, confiée à la moitié alterne de celle du défunt : expédition contre la nature qui a pour objet d'abattre un gros gibier, de préférence un jaguar, dont la peau, les ongles, les crocs constitueront le mori du défunt. »

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