Constantin Léontiev
Conservatism
« Je présume, à en juger par la marche dévastatrice de l'histoire contemporaine, que c'est justement la raison supérieure qui sera enfin contrainte de prendre parti contre tout ce qui est à l'heure actuelle si répandu, à savoir contre l'égalité et la liberté (en d'autres termes contre le mélange des classes sociales), contre l'instruction généralisée et la démocratisation des connaissances. Vraisemblablement il faudra même prendre parti contre les abus de la machine et contre les diverses inventions techniques qui jouent de façon très dangereuse avec les forces secrètes et terrifiantes de la nature. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 29
« Autrefois les gens de conditions différentes, de sphères différentes, de métiers et de professions différents, vivaient pour ainsi dire dans des mondes différents. Aujourd'hui ils vivent presque dans le même monde. Maintenant si l'on se réfère au passé, ils lisent les mêmes livres, entendent les mêmes choses, voient des spectacles semblables, fréquentent les mêmes endroits ; leurs espoirs et leurs peurs se tournent vers les mêmes objets : leurs droits sont identiques, leurs libertés et les moyens de les défendre semblables. Quel que soit l'écart entre leurs situations, ces différences ne sont rien par rapport à ce qu'elles étaient auparavant. Et cette assimilation ne fait que croître. Tous les changements politiques actuels la favorisent car ils tendent tous à élever les basses classes et à humilier les classes supérieures. Toute diffusion de l'instruction la favorise car celle-ci unit les gens par un fonds commun d'impressions et rend accessible à tous le capital commun de connaissances et de sentiments humains. Toute amélioration des moyens de communication contribue à cela car ces derniers mettent en contact des habitants de pays éloignés. Tout accroissement du commerce et de l'industrie favorise cette assimilation en répandant les richesses et en rendant accessibles à tous beaucoup de produits convoités. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 55
« Il faut que dorénavant la vie conduise la société sur les chemins d'une mobilité moins grande ; il faut mélange et assimilation se calment graduellement d'eux-mêmes. Il n'y a pas d'autre issue, ni pour l'Occident, ni pour la Russie, ni pour toute l'humanité. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 66
« Si nous ne le faisons pas, nous ne sommes placés dans cette position centrale que pour mélanger définitivement tout et tous et écrire le dernier mot sur l'édifice de l'État universel.
Cela signifiera clore l'histoire en ayant fait périr l'humanité par la diffusion de l'égalité et de la liberté universelles ; cela signifiera rendre la vie humaine totalement impossible sur le globe terrestre – car il n'y aura plus alors sur terre de vieilles tribus sauvages ni de vieux mondes culturels endormis. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 75
Modernity
« Lorsque la dernière bête sauvage aura disparu [...] lorsqu'il ne restera plus un seul espace libre, une seule forêt sauvage, toute la profondeur de l'esprit humain s'évanouira car il n'est pas bon pour l'homme d'être constamment en compagnie de ses semblables et il a épuisé depuis longtemps toute l'utilité qu'il pouvait tirer de la proximité et des communications fréquentes. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 58
« Ô égalité haïssable ! Ô lâche monotonie ! Ô progrès trois fois maudit ! Ô montagne féconde, nourrie de sang, mais pittoresque, de l’histoire universelle ! Depuis le siècle dernier, te voilà déchirée par une naissance nouvelle, et tes entrailles martyres ont accouché d’une souris. Nous assistons à la venue au monde d’une caricature qui défigure l’image des anciens hommes : l’Européen rationnel moyen, avec son grotesque vêtement, que le miroir de l’art ne saurait même pas idéaliser ; un être à l’esprit mesquin qui se sustente d’illusions, frotté de vertu terrestre et de bonnes intentions pratiques ! Depuis le début de l’histoire, on n’avait point vu d’alliage plus monstrueux : jactance intellectuelle devant Dieu, et platitude morale devant l’idole humanitariste, uniforme et incolore. Humanité exclusivement travailleuse, impie, et dénuée de passions. Peut-on aimer une humanité pareille ? Ne doit-on pas haïr, non pas les hommes eux-mêmes, lesquels sont stupides et ont perdu le sens, mais l’avenir qu’ils se préparent ? Ne devons-nous pas le haïr de toutes les forces de notre âme, et même de notre âme chrétienne ? »
- Constantin Léontiev, cité par Nicolas Berdiaev, in Constantin Leontiev, éd. Berg International, 1993
« [...] ceux qui, semblables à Proudhon et à quelques anarchistes, croient, en dépit de la raison et de la science, en la possibilité d'une société, homogène globale, sans pouvoir, qui devrait clore l'histoire et le développement de l'humanité grâce à son bonheur terrestre. C'est vrai : une telle société même partiellement réalisée, peut, sans en avoir l'intention, mettre fin et même éradiquer physiquement le genre humain ; elle le peut naturellement soir par la multiplication et la folie des inventions, soit par l'ennui et la neurasthénie infus dans un combat contres des obstacles mesquins et inoffensifs qui n'opposent jamais une résistance invincible. Mais une telle société, une fois constituée sous la forme d'un État universel, uniforme et mélangé, ne peut jamais s'arrêter, ne fût-ce que pour un court instant.
Il n'y aura plus personne pour conquérir un voisin affaibli et démocratisé outre mesure ; il n'y aura alors plus de voisin distinct ; on enseignera à chacun, sans aucun doute, à s'auto-détruire tout à fait légalement et avec beaucoup de savoir-faire. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 87
Countries
« Je ne comprends pas les Français. Ils sont capables d'aimer et de servir n'importe quelle France... Je veux pour ma part que ma patrie soit digne de mon estime. Et il faudrait user de contrainte pour m'amener à supporter n'importe quelle Russie. »
- Constantin Léontiev, cité par Nicolas Berdiaev, in Constantin Leontiev, éd. Berg International, 1993, p. 233
« Quand sur les ruines de Rome et de l'Hellade les nouveaux mondes culturels de Bysance et de l'Europe occidentale se sont formés, il est essentiel de noter en premier lieu qu'une nouvelle religion mystique leur avait servi de fondement, en second lieu que cette fondation avait été précédée d'un déplacement de populations – moins important à l'Est pour la fondation de Bysance, plus important à l'Ouest – et en troisième lieu qu'un nouveau centre culturel s'était formé à Bysance sur le Bosphore. Le christianisme est une religion nouvelle pour tous, pour l'Orient comme pour l'Occident. À l'Ouest, le centre est ancien mais renouvelé par un afflux de populations étrangères ; en Orient, la race est ancienne, grecque, beaucoup moins renouvelée par des populations nouvelles, mais en quelque sorte reposée par une longue stagnation des idées et un centre complètement nouveau, Bysance. »
- Constantin Léontiev, L'Européen moyen : idéal et outil de la destruction universelle (1872-1884), trad. Danièle Beaune-Gray, éd. L'Âge d'Homme, coll. Amers, 1999 (ISBN 9782825112465), p. 63