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« Mais le terme même d’«Occident» a perdu aujourd’hui sa signification traditionnelle. Il ne désigne plus une culture historique héritée, mais un mode de vie fondé sur le mythe de la «croissance», l’obsession de la consommation et le primat des valeurs marchandes. L’«Occident» n’est plus, hors de toute autre référence, que l’ensemble des pays développés, c’est-à-dire des pays dont la structure économique se révèle comme la plus productive. En dernière analyse, le «monde libre» n’est plus rien d’autre qu’une société économique, où la servitude à la quantité est posée comme synonyme de la «liberté». Comment l’Europe, dans la mesure où elle veut encore avoir une histoire, une culture, un destin, pourrait-elle accepter de n’être qu’une partie de cet «Occident ? »
  
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« La religion s’est constituée au carrefour de trois grandes fonctions : comme explication générale du monde, comme compréhension de la nature de l’homme, comme lieu d’expression du sacré. Les sciences physiques ont pris le relais dans le premier domaine, les sciences humaines dans le second. Il reste le sacré, pour lequel personne n’est preneur. C’est là qu’il faut rebâtir. »
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« L’opposition entre chrétiens et païens ne se réduit évidemment pas au nombre des dieux. Le paganisme est d’abord une religion de la cité (les Grecs rendaient un culte à des dieux grecs). C’est ensuite une religion du kosmos et de la vie, où l’éthique et l’esthétique n’entrent jamais en opposition. Le paganisme, c’est l’éthique de l’honneur, pas la morale du péché. C’est la condamnation de la démesure (hybris), le sens des limites, le refus du primat de tout ce qui n’est que matériel. Historiquement, le christianisme est un phénomène hybride, qui a dû composer dans les formes avec le paganisme sans pour autant cesser de le combattre sur le fond. Je n’aime pas ceux qui ne croient à rien. Je crois que pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à son telos, l’homme doit s’appuyer sur quelque chose qui le dépasse. Mais je ne crois à aucun arrière-monde, à aucun au-delà du monde. Je ne crois pas à la distinction théologique de l’être créé et de l’être incréé. C’est pourquoi je me sens plus chez moi en me plongeant dans les récits homériques ou dans la Chanson des Nibelungen, en pratiquant Héraclite, Aristote, Sénèque ou Marc-Aurèle, qu’en lisant saint Paul ou saint Augustin. J’étudie les origines chrétiennes depuis plus de quarante ans. Je n’y vois rien de crédible ni d’attirant. Au christianisme, je reproche son universalisme (le «peuple de Dieu» ne se confond avec aucun peuple), qui l’empêche, quand il est laissé à lui-même, d’assumer une dimension identitaire. Je lui reproche d’avoir introduit l’individuo-universalisme dans l’espace mental européen, d’avoir vidé le monde de toute sacralité intrinsèque, d’avoir propagé une conception vectorielle, linéaire de l’histoire dont sont sortis tous les historicismes modernes, d’avoir disséminé ces «vérités chrétiennes devenues folles» (Chesterton) qui, une fois sécularisées, ont formé le socle du monde désenchanté, vidé de sens, où nous vivons aujourd’hui. »

Version actuelle datée du 19 mai 2025 à 10:37

« Mais le terme même d’«Occident» a perdu aujourd’hui sa signification traditionnelle. Il ne désigne plus une culture historique héritée, mais un mode de vie fondé sur le mythe de la «croissance», l’obsession de la consommation et le primat des valeurs marchandes. L’«Occident» n’est plus, hors de toute autre référence, que l’ensemble des pays développés, c’est-à-dire des pays dont la structure économique se révèle comme la plus productive. En dernière analyse, le «monde libre» n’est plus rien d’autre qu’une société économique, où la servitude à la quantité est posée comme synonyme de la «liberté». Comment l’Europe, dans la mesure où elle veut encore avoir une histoire, une culture, un destin, pourrait-elle accepter de n’être qu’une partie de cet «Occident ? »

« La religion s’est constituée au carrefour de trois grandes fonctions : comme explication générale du monde, comme compréhension de la nature de l’homme, comme lieu d’expression du sacré. Les sciences physiques ont pris le relais dans le premier domaine, les sciences humaines dans le second. Il reste le sacré, pour lequel personne n’est preneur. C’est là qu’il faut rebâtir. »

« L’opposition entre chrétiens et païens ne se réduit évidemment pas au nombre des dieux. Le paganisme est d’abord une religion de la cité (les Grecs rendaient un culte à des dieux grecs). C’est ensuite une religion du kosmos et de la vie, où l’éthique et l’esthétique n’entrent jamais en opposition. Le paganisme, c’est l’éthique de l’honneur, pas la morale du péché. C’est la condamnation de la démesure (hybris), le sens des limites, le refus du primat de tout ce qui n’est que matériel. Historiquement, le christianisme est un phénomène hybride, qui a dû composer dans les formes avec le paganisme sans pour autant cesser de le combattre sur le fond. Je n’aime pas ceux qui ne croient à rien. Je crois que pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à son telos, l’homme doit s’appuyer sur quelque chose qui le dépasse. Mais je ne crois à aucun arrière-monde, à aucun au-delà du monde. Je ne crois pas à la distinction théologique de l’être créé et de l’être incréé. C’est pourquoi je me sens plus chez moi en me plongeant dans les récits homériques ou dans la Chanson des Nibelungen, en pratiquant Héraclite, Aristote, Sénèque ou Marc-Aurèle, qu’en lisant saint Paul ou saint Augustin. J’étudie les origines chrétiennes depuis plus de quarante ans. Je n’y vois rien de crédible ni d’attirant. Au christianisme, je reproche son universalisme (le «peuple de Dieu» ne se confond avec aucun peuple), qui l’empêche, quand il est laissé à lui-même, d’assumer une dimension identitaire. Je lui reproche d’avoir introduit l’individuo-universalisme dans l’espace mental européen, d’avoir vidé le monde de toute sacralité intrinsèque, d’avoir propagé une conception vectorielle, linéaire de l’histoire dont sont sortis tous les historicismes modernes, d’avoir disséminé ces «vérités chrétiennes devenues folles» (Chesterton) qui, une fois sécularisées, ont formé le socle du monde désenchanté, vidé de sens, où nous vivons aujourd’hui. »