Différences entre les versions de « Vu de droite - Alain de Benoist »

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'''Alain de Benoist, ''Vu de droite'' (1977), éd. Labyrinthe, 2002 (ISBN 9782869800519), préface.'''
 
'''Alain de Benoist, ''Vu de droite'' (1977), éd. Labyrinthe, 2002 (ISBN 9782869800519), préface.'''
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L’histoire de la modernité peut se comprendre, au moins en partie, comme celle d’un gigantesque processus d’uniformisation. Induit par l’universalisme philosophico-moral ou politique, et par la diffusion de techniques plus efficaces pour modeler les comportements que la plus centralisée des dictatures, il s’est traduit en Occident par l’éradication progressive des modes de vie différenciés, et dans le Tiers-monde par l’acculturation et l’imposition du mythe occidental du « développement ». Ce processus semble atteindre son apogée avec la mondialisation. L’idéologie du Même devient aujourd’hui « globalitaire » (Paul Virilio), dans la mesure où elle tend à faire un naître un monde ''sans extérieur'', où les flux circulent en tous sens en « temps zéro ». Le « pluralisme » et même le « multiculturalisme », dont on fait si grand cas de nos jours, ne sont plus que l’ombre et la caricature des anciens particularismes, aujourd’hui laminés par des tendances et des comportements de plus en plus homogènes. Déjà, dans les pays occidentaux, on s’habille, on mange, on parle, on habite, on se distrait, on vit et, finalement, on pense de plus en plus de la même façon. On consomme les mêmes produits, on voit les mêmes spectacles, on écoute les mêmes émissions. Les cultures particulières, liées à une appartenance professionnelle, politique ou religieuse, ont pratiquement disparu. Les cultures et les langues régionales sont menacées. Les modes de vie hérités du passé ne sont conservés que comme spectacles touristiques, générateurs de plus-values. Ce sont des souvenirs figés, des traditions maintenues artificiellement, des souvenirs folklorisés ou muséographiées. Les seules différences qui subsistent sont liées au niveau de revenu : elles jouent sur les quantités, mais changent peu de choses quant à la nature des choix et des aspirations. Parallèlement, la pensée unique disqualifie comme utopie dangereuse ou pensée mauvaise tout projet s’écartant de la norme dominante. Tout le système médiatique est lui-même ordonné à la célébration de l’existant, implicitement posé comme le meilleur (ou le moins mauvais) des mondes possibles, voire comme le seul monde possible. Sa fonction principale étant de justifier l’adaptation aux normes de la consommation illimitée, il s’emploie à « homogénéiser les besoins, les demandes, les attentes, les désirs »<ref>Pierre-André Taguieff, ''Marianne'', 21 mai 2001, p. 68.</ref>. Malgré les disparités économiques et sociales, qui ne cessent de s’accroître, la planète s’unifie sous l’horizon économique et moral : d’un côté, l’idéologie des « droits de l‘homme », de l’autre, le monothéisme du marché.
 
L’histoire de la modernité peut se comprendre, au moins en partie, comme celle d’un gigantesque processus d’uniformisation. Induit par l’universalisme philosophico-moral ou politique, et par la diffusion de techniques plus efficaces pour modeler les comportements que la plus centralisée des dictatures, il s’est traduit en Occident par l’éradication progressive des modes de vie différenciés, et dans le Tiers-monde par l’acculturation et l’imposition du mythe occidental du « développement ». Ce processus semble atteindre son apogée avec la mondialisation. L’idéologie du Même devient aujourd’hui « globalitaire » (Paul Virilio), dans la mesure où elle tend à faire un naître un monde ''sans extérieur'', où les flux circulent en tous sens en « temps zéro ». Le « pluralisme » et même le « multiculturalisme », dont on fait si grand cas de nos jours, ne sont plus que l’ombre et la caricature des anciens particularismes, aujourd’hui laminés par des tendances et des comportements de plus en plus homogènes. Déjà, dans les pays occidentaux, on s’habille, on mange, on parle, on habite, on se distrait, on vit et, finalement, on pense de plus en plus de la même façon. On consomme les mêmes produits, on voit les mêmes spectacles, on écoute les mêmes émissions. Les cultures particulières, liées à une appartenance professionnelle, politique ou religieuse, ont pratiquement disparu. Les cultures et les langues régionales sont menacées. Les modes de vie hérités du passé ne sont conservés que comme spectacles touristiques, générateurs de plus-values. Ce sont des souvenirs figés, des traditions maintenues artificiellement, des souvenirs folklorisés ou muséographiées. Les seules différences qui subsistent sont liées au niveau de revenu : elles jouent sur les quantités, mais changent peu de choses quant à la nature des choix et des aspirations. Parallèlement, la pensée unique disqualifie comme utopie dangereuse ou pensée mauvaise tout projet s’écartant de la norme dominante. Tout le système médiatique est lui-même ordonné à la célébration de l’existant, implicitement posé comme le meilleur (ou le moins mauvais) des mondes possibles, voire comme le seul monde possible. Sa fonction principale étant de justifier l’adaptation aux normes de la consommation illimitée, il s’emploie à « homogénéiser les besoins, les demandes, les attentes, les désirs »<ref>Pierre-André Taguieff, ''Marianne'', 21 mai 2001, p. 68.</ref>. Malgré les disparités économiques et sociales, qui ne cessent de s’accroître, la planète s’unifie sous l’horizon économique et moral : d’un côté, l’idéologie des « droits de l‘homme », de l’autre, le monothéisme du marché.
  
En même temps, dans un monde marqué par la crise généralisée des institutions et des grands systèmes d’intégration sociale, l’effondrement du modèle de l’État-nation et l’insignifiance grandissante des frontières territoriales, on voit réapparaître, sous forme de communautés et de réseaux, une formidable soif de réenracinement. La société civile se restructure spontanément en recréant des groupes et des « tribus » qui cherchent à remédier à l’indifférenciation croissante des rôles, à la mise en circulation généralisée, au laminage systématique des sociabilités de base, en réintroduisant de l’altérité dans la vie quotidienne et locale, en recourant à la démocratie directe et au principe de subsidiarité. Ce phénomène, par sa rapide extension « virale », montre à lui seul que l’on est déjà sorti de la modernité. Le désir d’égalité, succédant au désir de liberté, fut la grande passion des temps modernes. Celle des temps postmodernes sera le désir d’identité.
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En même temps, dans un monde marqué par la crise généralisée des institutions et des grands systèmes d’intégration sociale, l’effondrement du modèle de l’État-nation et l’insignifiance grandissante des frontières territoriales, on voit réapparaître, sous forme de communautés et de réseaux, une formidable soif de réenracinement. La société civile se restructure spontanément en recréant des groupes et des « tribus » qui cherchent à remédier à l’indifférenciation croissante des rôles, à la mise en circulation généralisée, au laminage systématique des sociabilités de base, en réintroduisant de l’altérité dans la vie quotidienne et locale, en recourant à la démocratie directe et au principe de subsidiarité. Ce phénomène, par sa rapide extension « virale », montre à lui seul que l’on est déjà sorti de la modernité. '''Le désir d’égalité, succédant au désir de liberté, fut la grande passion des temps modernes. Celle des temps postmodernes sera le désir d’identité.'''
  
 
Cette préoccupation postmoderne prend la forme d’une volonté de voir reconnues dans la sphère publique —et non plus seulement dans la sphère privée, où la modernité les avaient rabattues au nom de l’universalisme républicain ou d’un idéal de « neutralité » axiologique — une ou plusieurs dimensions d’appartenance collective considérées comme constitutives de l’identité. Que cette revendication porte sur des formes d’appartenance (culturelles, ethniques, linguistiques, régionales, religieuses, sexuelles, etc.) héritées ou choisies, durables ou transitoires, dans tous les cas, ce n’est plus prioritairement la tolérance qui est recherchée, mais la reconnaissance et le respect. Alors que l’État-nation se fixait tendanciellement pour objectif d’abolir toutes les distinctions, tous les corps intermédiaires qui l’empêchaient d’être à lui seul l’incarnation du tout social et le garant de son unité, il s’agit désormais de reconnaître les associations et les communautés et de leur permettre de se développer de manière pérenne à partir d’elles-mêmes, soit parce qu ’elles sont par nature irréductibles à tout traitement politique, soit parce que leur but principal est d’exister en tant que telles. Ce type d’aspiration montre bien que les communautés, loin de viser à l’enfermement sur elles-mêmes, veulent devenir des composantes de plein droit de la société globale. En même temps, il contredit un modèle politique qui ne conçoit de contrat social que conclu entre des individus que rien ne réunit au préalable. La place croissante de la question identitaire dans les démocraties postmodernes pousse ainsi à ouvrir aux identités collectives elles-mêmes l ’espace de la démocratie politique. L ’identité (re) devient l’une des conditions d’exercice pratique de la citoyenneté.
 
Cette préoccupation postmoderne prend la forme d’une volonté de voir reconnues dans la sphère publique —et non plus seulement dans la sphère privée, où la modernité les avaient rabattues au nom de l’universalisme républicain ou d’un idéal de « neutralité » axiologique — une ou plusieurs dimensions d’appartenance collective considérées comme constitutives de l’identité. Que cette revendication porte sur des formes d’appartenance (culturelles, ethniques, linguistiques, régionales, religieuses, sexuelles, etc.) héritées ou choisies, durables ou transitoires, dans tous les cas, ce n’est plus prioritairement la tolérance qui est recherchée, mais la reconnaissance et le respect. Alors que l’État-nation se fixait tendanciellement pour objectif d’abolir toutes les distinctions, tous les corps intermédiaires qui l’empêchaient d’être à lui seul l’incarnation du tout social et le garant de son unité, il s’agit désormais de reconnaître les associations et les communautés et de leur permettre de se développer de manière pérenne à partir d’elles-mêmes, soit parce qu ’elles sont par nature irréductibles à tout traitement politique, soit parce que leur but principal est d’exister en tant que telles. Ce type d’aspiration montre bien que les communautés, loin de viser à l’enfermement sur elles-mêmes, veulent devenir des composantes de plein droit de la société globale. En même temps, il contredit un modèle politique qui ne conçoit de contrat social que conclu entre des individus que rien ne réunit au préalable. La place croissante de la question identitaire dans les démocraties postmodernes pousse ainsi à ouvrir aux identités collectives elles-mêmes l ’espace de la démocratie politique. L ’identité (re) devient l’une des conditions d’exercice pratique de la citoyenneté.

Version du 21 mai 2018 à 15:12

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  1. Entretien sur l’aventure du Figaro-Magazine, à paraître aux éditions de L’Age d’homme, dans le « dossier H » consacré à Louis Pauwels.
  2. Cf. préface à Alain de Benoist, L’écume et les galets, 1991-1999. Dix ans d’actualité vue d’ailleurs, Labyrinthe, Paris 2000.
  3. André Harris et Alain de Sédouy, Qui n’est pas de droite ?, Seuil, Paris 1978.