Différences entre les versions de « Lettre au baron de Breteuil - Louis XVI »

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Version du 3 novembre 2022 à 15:35


Louis XVI, Lettre au baron de Breteuil, 3 décembre 1791.


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Vous avez eu connaissance du message de l’Assemblée du 29 novembre. Vous verrez le discours que j’ai fait hier à l’Assemblée nationale et vous jugerez que l’un et une suite nécessaire de l’autre. La cruelle loi contre les émigrants m’avait forcé de faire usage du véto dont la nécessité a été reconnue par une grande partie de la nation ; mais les factieux, qui ne perdent jamais leur point de vue de chercher à me mettre dans une position embarrassante, se sont retournés d’un autre côté. Ils ont fait la détestable loi sur les prêtres réfractaires et le message sur les émigrants et les puissances étrangères. La loi absurde sur les émigrants était une épée à deux tranchants. Si je la sanctionnais, je me déshonorais aux yeux du monde, en paraissant approuver les cruelles dispositions qu’elle contenait, et ils en auraient abusé sur mon personnel. Ils auraient encore tiré parti de cette sanction en disant que je ne sanctionnerais que parce que je voulais montrer par là que je n’étais pas libre et de là toute la suite de propos qu’on peut bien imaginer. Je n’ai pas hésité à refuser ma sanction. Le système que je me suis fait, d’agir le plus librement que je peux en suivant exactement les moyens que la constitution m’en laisse, me le prescrivait.

Il en sera de même pour le décret sur les prêtres ; mais en marchant avec la force constitutionnelle, il n’est pas douteux que je ne sois obligé de me prêter à toutes les démarches de justice et de nécessité apparente, que les circonstances indiquent pour soutenir le système que j’ai pris de me donner une force par la faveur du peuple qui, pour la plus grosse partie, veut encore la constitution et redoute une contre-révolution qui est le but trop marqué des émigrants. De là vient que le peuple les regarde comme ses plus grands ennemis et que la manière la plus sûre de défavoriser le Roi est de le présenter comme de concert en favorisant les projets des émigrants. Cette idée est bien aisée à soutenir parce qu’il est clair, pour toute personne qui marche sur deux pieds, qu’intérieurement je ne peux pas approuver la révolution et la constitution absurde et détestable qui me met au-dessous de ce qu’était le Roi de Pologne.

C’est donc l’article le plus délicat pour moi que celui des émigrants, et celui où je suis obligé de me prêter le plus aux circonstances, bien résolu pourtant de ne rien faire d’indigne de moi. Dans tout gouvernement établi, si des citoyens expatriés s’assemblaient en force et montraient le désir de rentrer à mains armées dans leur pays pour y détruire le gouvernement, et qu’ils fussent favorisés par des puissances étrangères, il ne serait pas possible au chef de gouvernement de souffrir pareille chose ou il perdrait toute confiance.

C’est précisément mon cas, et ce que pense la plus grande partie du moins des gens qui parlent. En me déterminant à accepter la constitution, j’ai pensé de même. J’en ai écrit plusieurs fois en demandant qu’on séparât les rassemblements, qu’on s’éloigne, qu’on ne donne pas sujet à inquiétudes qui me forceraient à agir directement contre eux, qu’ils devaient bien m’éviter cette peine cruelle ; que s’ils faisaient tomber les inquiétudes, au lieu d’être haïs et redoutés, ils seraient peut-être un jour désirés et rappelés avec honneur ; que, s’ils voulaient eux-mêmes agir par la force, ils se perdraient avec ceux qui leur appartiennent et le royaume à la fin de tout ; que pour moi (ils me mettaient dans le plus grand emb...) ils m’ôtaient toute ressource personnelle et me mettaient dans le plus grand danger, à moins de me jeter à corps perdu dans la puissance des factieux ; enfin que les puissances étrangères avaient tant de raisons d’être mécontentes, qu’il fallait que ce fussent elles qui agissent, et qu’en se tenant en seconde ligne, ils ne courraient aucuns des dangers que je prévois.

C’est avec bien de la peine que j’ai vu qu’ils n’écoutaient pas mes raisons et qu’ils suivaient la même marche. Quelque mauvais que fût le décret des émigrants, il m’eût été impossible de le refuser si je n’avais pas fait en même temps des démarches pour faire dissiper les rassemblements.

J’ai écrit à mes frères quoique je me doutasse bien que cela ne servirait à rien, surtout dans le style où je devais leur écrire publiquement. Plût à Dieu que Monsieur eût pris d’abord un parti de lui-même, ou quand je lui ai écrit par le chevalier de Coigny. Il nous aurait évité bien des embarras.

J’ai fait aux électeurs des réquisitoires que le droit des gens approuve. L’électeur de Mayence, à une lettre de notification de l’acception, a répondu par une protestation. Celui de Trèves, à une réquisition pour la séparation des rassemblements, n’a fait qu’un persiflage en réponse. D’un autre côté, le cardinal de Rohan et le vicomte de Mirabeau font tout ce qu’ils peuvent pour donner des inquiétudes à l’Alsace.

Si je n’avais rien fait, on n’aurait pas manqué de m’accuser de connivence et on m’aurait demandé même d’après la constitution si je voulais agir en roi. La réponse eût été difficile. Après les premières réquisitions faites et leur non-réussite, il fallait que je continue la même marche. Je regarde comme fort heureux que l’assemblée nationale se soit expliquée comme elle l’a fait dans son message du 29. Vous verrez ma réponse : que je ne fais que suivre ce qu’elle m’a indiqué et la marche constitutionnelle. Je regarde encore comme fort heureux qu’ils n’aient pas demandé de démarches directes vis-à-vis de mes frères et des émigrants ; ils ont alors beau jeu à ne faire que la partie secondaire et à attendre les événements.

Vous savez que mon système a toujours été de retenir les émigrants et de faire agir les puissances en avant ; si elles s’étaient décidées comme je l’avais demandé, il y a longtemps que le congrès eût été au moins indiqué. Je crois qu’il était fort à propos d’écrire comme je l’ai fait dernièrement d’après votre conseil. Il était temps par tout ce qui me revient que toutes les puissances du nord eussent directement de mes nouvelles, car sûrement elles s’entendaient avec les émigrants pour les faire agir. Je ne pense point que ma dernière démarche doive changer rien des choses sur ma demande du congrès armé, au contraire j’y vois des raisons de plus. La liberté de quelques princes germaniques étant menacée, l’empereur et le Roi de Prusse doivent le trouver mauvais et se prêter plus aisément à ce qui a été demandé et, par là, soutenir les électeurs.

Dans ma dernière instruction, je vous ai expliqué bien des raisons par lesquelles les puissances pourraient se mêler de nos affaires ; en voilà une bien forte et bien palpable d’ajoutée. Au lieu d’une guerre civile, cela deviendra une guerre politique et les chances sont bien meilleures. Il faut vous pénétrer bien des raisons de ma conduite que j’ai expliquée ci-dessus, pour en informer les puissances, afin qu’elles soient bien persuadées que ce n’est pas moi qui ai voulu la guerre, mais que par les circonstances je ne pouvais pas me conduire autrement ; que je recevrai toujours avec plaisir et reconnaissance ce qu’elle pourront faire pour moi. Une réflexion peut venir à l’esprit. Les puissances peuvent ne point entendre aux explications qu’on leur donnera, prendre de l’humeur et n’agir que par elles absolument, s’important fort peu de ce que deviendrait la France, en me mettant de côté, mettre mes frères en avant. Je suis intimement convaincu de leur amitié et de leur attachement pour moi que jamais ils n’y consentiraient, ou même M. le prince de Condé. C’est à l’habileté du négociateur à savoir prévenir ces inconvénients.

Il faut examiner à présent ce qui peut arriver si les électeurs avaient peur et se soumettaient à dissiper les rassemblements sans que les puissances eussent parlé. Ce serait, je crois, ce qui pourrait arriver de pis. Comme la démarche m’a été dictée, on m’en saurait peu de gré ; les esprits des factieux seraient extrêmement enflés et arrogants ; le crédit se remonterait et soutiendrait encore la machine pendant quelques temps. D’un autre côté, les émigrants auraient le poignard dans le cœur. Ils se porteraient indubitablement à quelque entreprise désespérée.

Ce qui pourrait arriver de plus heureux et où on doit diriger tous ses soins, c’est que les puissances s’emparent de l’affaire, protègent les électeurs, mais en même temps séparent les émigrants en leur donnant sécurité et protection. Ils pourraient faire tenir ici à peu près ce langage : "Vous avez voulu attaquer le corps germanique dont nous sommes les protecteurs et les garants, sous prétexte de rassemblements "de vos concitoyens qui vous inquiétait. Nous avons bien voulu faire cesser le sujet d’inquiétudes. Nous nous chargeons de retenir les "émigrants et de faire séparer leurs rassemblements armés, mais c’est à condition que vous nous donnerez satisfaction sur telle et telle "chose, et que vous ayez un gouvernement qui ait une force et une stabilité sur la foi desquelles on puisse compter. Sans cela nous "vous regarderons comme un repaire de brigands et l’écume de l’Europe."

Ce langage en imposerait sûrement et ferait pâlir les plus hardis. Il me paraît impossible que nous y fussions compromis. Il serait aisé de faire passer après les instructions sur le langage à tenir pour cela, si l’on voyait les choses tourner dans ce sens-là. Reste la guerre, si elle était inévitable. L’état physique et moral de la France fait qu’il lui est impossible de la soutenir une demie campagne, mais il faut que j’aie l’air de m’y livrer franchement, et comme je l’aurais fait dans les temps précédents. Il y a deux chances pour elle. Il est difficile de calculer qu’elle soit heureuse. Si par hasard cela arrivait, m’étant montré franchement, et la guerre donnant toujours plus de moyens au gouvernement, je peux regagner quelque chose par là. Mais cette hypothèse est la moins vraisemblable. Si elle est malheureuse, vous connaissez les Français, comme ils sont vite d’une extrémité à l’autre. Ils seraient bientôt aussi abattus qu’ils sont orgueilleux avant, et peut-être ne voudraient-ils aucuns restes du nouvel édifice s’ils voyaient bien qu’il leur a attiré tous les malheurs.

Il peut exister une crainte, et sûrement les factieux chercheraient à tourner les esprits de ce côté-là ; ce serait de s’en prendre à moi de leurs malheurs et de me faire soupçonner de le désirer pour regagner la puissance. C’est ma conduite qui doit écarter tous ces soupçons et surtout de ne rien laisser pénétrer de mes relations avec les étrangers. Il faut que ma conduite soit telle que dans le malheur la nation ne voit de ressource qu’en se jetant dans mes bras. La guerre étant malheureuse, les puissances peuvent tenir le même langage mais avec bien plus de force que dans la seconde hypothèse ci-dessus. Les négociations secrètes doivent se diriger à convenir de bonne heure du but où on doit tendre et où elles doivent s’arrêter afin, comme dit le proverbe : l’appétit ne leur vienne pas en mangeant. Il faudrait aussi que je pusse dans ce cas servir le royaume en obtenant par mon entremise la paix la moins désavantageuse qu’on pourrait.

Voilà une bien longue instruction, mais j’ai voulu tout prévoir et on pourra m’indiquer les éclaircissements qu’on pourrait encore désirer.

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