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Citations

« Tout ce qui fait événement aujourd’hui le fait contre cette universalité abstraite — y compris l’antagonisme de l’islam aux valeurs occidentales (c’est parce qu’il en est la contestation la plus véhémente qu’il est aujourd’hui l’ennemi numéro un).

Qui peut faire échec au système mondial ? Certainement pas le mouvement de l’antimondialisation, qui n’a pour objectif que de freiner la dérégulation. L’impact politique peut être considérable, l’impact symbolique est nul. Cette violence-là est encore une sorte de péripétie interne que le système peut surmonter tout en restant maître du jeu. Ce qui peut faire échec au système, ce ne sont pas des alternatives positives, ce sont des singularités. Or, celles-ci ne sont ni positives ni négatives. Elles ne sont pas une alternative, elles sont d’un autre ordre. Elles n’obéissent plus à un jugement de valeur ni à un principe de réalité politique. Elles peuvent donc être le meilleur ou le pire. On ne peut donc les fédérer dans une action historique d’ensemble. Elles font échec à toute pensée unique et dominante, mais elles ne sont pas une contre-pensée unique — elles inventent leur jeu et leurs propres règles du jeu. [...]

Il ne s’agit donc pas d’un “choc de civilisations”, mais d’un affrontement, presque anthropologique, entre une culture universelle indifférenciée et tout ce qui, dans quelque domaine que ce soit, garde quelque chose d’une altérité irréductible. Pour la puissance mondiale, tout aussi intégriste que l’orthodoxie religieuse, toutes les formes différentes et singulières sont des hérésies. A ce titre, elles sont vouées soit à rentrer de gré ou de force dans l’ordre mondial, soit à disparaître. La mission de l’Occident (ou plutôt de l’ex-Occident, puisqu’il n’a plus depuis longtemps de valeurs propres) est de soumettre par tous les moyens les multiples cultures à la loi féroce de l’équivalence. Une culture qui a perdu ses valeurs ne peut que se venger sur celles des autres. »

— « La violence de la mondialisation », Jean Baudrillard, Le Monde diplomatique, novembre 2002


« La vraie question devient alors : ne peut-on plus l’“ouvrir” de quelque façon, proférer quoi que ce soit d’insolite, d’insolent, d’hétérodoxe ou de paradoxal sans être automatiquement d’extrême droite (ce qui est, il faut bien le dire, un hommage rendu à l’extrême droite) ? Pourquoi tout ce qui est moral, conforme et conformiste, et qui était traditionnellement à droite, est-il passé à gauche ? Révision déchirante : alors que la droite incarnait les valeurs morales, et la gauche au contraire une certaine exigence historique et politique contradictoire, aujourd’hui, celle-ci, dépouillée de toute énergie politique, est devenue une pure juridiction morale, incarnation des valeurs universelles, championne du règne de la Vertu et tenancière des valeurs muséales du Bien et du Vrai, juridiction qui peut demander des comptes à tout le monde sans avoir à en rendre à personne. L’illusion politique de la gauche, congelée pendant vingt ans dans l’opposition, s’est révélée, avec l’accession au pouvoir, porteuse, non pas du sens de l’histoire, mais d’une morale de l’histoire. D’une morale de la Vérité, du Droit et de la bonne conscience degré zéro du politique et sans doute même point le plus bas de la généalogie de la morale. Défaite historique de la gauche (et de la pensée) que cette moralisation des valeurs. Même la réalité, le principe de réalité, est un article de foi. Mettez donc en cause la réalité d’une guerre : vous êtes aussitôt jugé comme traître à la loi morale. La gauche tout aussi politiquement dévitalisée que la droite ­ où est donc passé le politique ? Eh bien, du côté de l’extrême droite. Comme le disait très bien Bruno Latour dans le Monde, le seul discours politique en France, aujourd’hui, est celui de Le Pen. Tous les autres sont des discours moraux et pédagogiques, discours d’instituteurs et de donneurs de leçons, de gestionnaires et de programmateurs. »

— « Opposer à Le Pen la vitupération morale, c’est lui laisser le privilège de l’insolence. La conjuration des imbéciles. », Jean Baudrillard, Libération, 7 mai 1997 (lire en ligne)


« L’art contemporain joue de cette incertitude, de l’impossibilité d’un jugement de valeur esthétique fondé, et spécule sur la culpabilité de ceux qui n’y comprennent rien, ou qui n’ont pas compris qu’il n’y avait rien à comprendre. »

— « Le complot de l’art », Jean Baudrillard, Libération, 20 mai 1996 (lire en ligne)


« On est tombé dans l’universel consensuel des Droits de l’homme, derrière lequel s’alimentent des singularités violentes, qui sécrètent de la haine, dans la mesure même où cet universel est irrecevable, où c’est une utopie qui peut se révéler meurtrière. [...]

La haine est plutôt la réaction violente au fait qu’il n’y a pas de solution, qu’il n’y a pas de résolution possible de tous les problèmes qu’avait posés l’histoire. »

— «  », Jean Baudrillard, Le Magazine littéraire, été 1994


« Toute société doit se désigner un ennemi, mais elle ne doit pas vouloir l’exterminer. Ce fut l’erreur fatale du fascisme et de la Terreur, mais c’est celle aussi de la terreur douce et démocratique, qui est en train d’éliminer l’Autre encore plus sûrement que par l’holocauste. L’opération qui consistait à hypostasier une race et à la perpétuer par reproduction interne que nous stigmatisons comme abjection raciste, est en train de se réaliser au niveau des individus au nom même des droits de l’homme à contrôler son propre processus génétiquement et sous toutes ses formes. SOS-Racisme. SOS-baleines. Ambiguïté : dans un cas, c’est pour dénoncer le racisme, dans l’autre, c’est pour sauver les baleines. Et si dans le premier cas, c’était aussi un appel subliminal à sauver le racisme, et donc l’enjeu de la lutte anti-raciste comme dernier vestige des passions politiques, et donc une espèce virtuellement condamnée. »

— Jean Baudrillard, Cool Memories II : 1987-1990, éd. Galilée, 1990 (ISBN 9782718603674), t. 2, p. 134


Le « contre-discours, n’instituant aucune distance réelle, est aussi immanent à la société de consommation que n’importe lequel de ses autres aspects. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 316


« [...] cette société d’“abondance” est à elle-même son propre mythe [...]. Une sorte d’immense narcissisme collectif porte la société à se confondre et à s’absoudre dans l’image qu’elle se donne d’elle-même [...]. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 313


« [...] le ludique de la consommation s’est substitué progressivement au tragique de l’identité. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 310


« [...] les hippies et leur communauté constituent-ils une véritable alternative au processus de croissance et de consommation ? N’en sont-ils pas l’image inverse et complémentaire ? Sont-ils une “anti-société” propre à faire basculer à terme l’ordre social tout entier ou n’en sont-ils qu’un fleuron décadent [...].

Ne sont-ils finalement, d’un point de vue sociologique, qu’un produit de luxe des sociétés riches ? Ne sont-ils pas eux aussi, avec leur spiritualité orientalisante, leur psychédélisme bariolé, des marginaux qui ne font qu’exacerber certains traits de leur société ? »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 288-289


« Le problème plus général dans lequel s’inscrit celui de cette violence “sans objets”, encore sporadique dans certains pays, mais virtuellement endémique dans tous les pays développés ou sur-développés, est celui des contradictions fondamentales de l’abondance (et non plus seulement de ses disparités sociologiques). C’est celui des multiples formes d’ANOMIE (pour reprendre le terme de Durkheim) ou d’ANOMALIE, selon qu’on les réfère à la rationalité des institutions ou à l’évidence vécue de la normalité, qui vont de la destructivité (violence, délinquance) à la dépressivité contagieuse (fatique, suicides, névroses) en passant par les conduites collectives d’évasion (dogue, hippies, non-violence). Tous ces aspects caractéristiques de l’“affluent society” ou de la “permissive society” posent, chacun à sa façon, le problème d’un déséquilibre fondamental. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 280


« L’“aliénation” du loisir est plus profonde : elle ne tient pas à sa subordination directe au temps de travail, elle est liée à L’IMPOSSIBILITÉ MÊME DE PERDRE SON TEMPS. [...]

Le loisir n’est donc pas tellement une fonction de jouissance du temps libre, de satisfaction et de repos fonctionnel. Sa définition est celle d’une consommation de temps improductive. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 244-249


« C’est là le paradoxe tragique de la consommation. Dans chaque objet possédé, consommé, comme dans chaque minute de temps libre, chaque homme veut faire passer, croit avoir fait passer son désir — mais de chaque objet approprié, de chaque satisfaction accomplie, comme de chaque minute “disponible”, le désir est déjà absent, nécessairement absent. Il n’en reste que du “consommé” de désir. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 240-241


« [...] dans quelque culture que ce soit, le mode d’organisation de la relation au corps reflète le mode d’organisation de la relation aux choses et celui des relations sociales. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 200


« [...] la Nature n’est jamais si exaltée que depuis qu’elle est partout détruite [...]. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 152


« [...] le paradoxe de l’“underconsumption”, ou de l’“inconspicuous consumption”, c’est-à-dire le paradoxe de la surdifférenciation de prestige, qui ne s’affiche précisément plus par l’ostentation (“conspicuous”, selon Veblen), mais par la discrétion, le dépouillement et l’effacement, qui ne sont jamais qu’un luxe de plus, un surcroît d’ostentation qui se change en son contraire, et donc une différence plus subtile. La différenciation peut prendre alors la forme du refus d’objets, du refus de la “consommation”, et ceci est encore la fin du fin de la consommation. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 130


« En tant que consommateur, l’homme redevient solitaire, ou cellulaire, tout au plus grégaire (la T.V. en famille, le public de stade ou de cinéma, etc.). Les structures de consommation sont à la fois très fluides et closes. [...] la consommation est d’abord orchestrée comme un discours à soi-même, et tend à s’épuiser, avec ses satisfactions et ses déceptions, dans cet échange minimum. L’objet de la consommation isole. La sphère privée est sans négativité concrète, parce qu’elle se referme sur ses objets, qui n’en n’ont pas. [...]

En gros donc, les consommateurs sont, en tant que tels, inconscients et inorganisés, comme pouvaient l’être les ouvriers du début du XIXe siècle. C’est à ce titre qu’ils sont partout exaltés, flattés, chantés par les bons apôtres comme l’“Opinion Publique”, réalité mystique, providentielle et “souveraine”. Comme le Peuple est exalté par la Démocratie pourvu qu’il y reste (c’est-à-dire n’intervienne pas sur la scène politique et sociale), ainsi on reconnaît aux consommateurs la souveraineté (“Powerfull consumer”, selon Katona), pourvu qu’ils ne cherchent pas à jouer comme tels sur la scène sociale. Le Peuple, ce sont les travailleurs, pourvus qu’ils soient inorganisés. Le Public, l’Opinion Publique, ce sont les consommateurs, pourvu qu’ils se contentent de consommer. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 122-123


« Tout le discours sur la consommation​ vise à faire du consommateur l’Homme Universel, l’incarnation générale, idéale et définitive de l’Espèce Humaine, de la consommation les prémices d’une “libération humaine” qui s’accomplirait au lieu de et malgré l’échec de la libération politique et sociale. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 120-121


« La consommation est donc un puissant élément de contrôle social (par l’atomisation des individus consommateurs), mais elle entraîne, par là même, la nécessité d’une contrainte bureaucratique toujours plus forte sur le processus de consommation — laquelle sera en conséquence exaltée avec toujours plus d’énergie comme le règne de la liberté. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 119


« Le consommateur vit comme liberté, comme aspiration, comme choix ses conduites distinctives, il ne les vit pas comme contrainte de différenciation et d’obéissance à un code. [...]

Cette mystique bien entretenue (et en tout premier lieu par les économistes) de la satisfaction et du choix individuels, où vient culminer toute une civilisation de la “liberté”, est l’idéologie même du système industriel, en justifie l’arbitraire et toutes les nuisances collectives : crasse, pollution, déculturation — en fait le consommateur est souverain dans une jungle de laideur, où on lui a imposé la liberté de choix. »

— Jean Baudrillard, La Société de consommation (1970), éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2019 (ISBN 9782070323494), p. 80-99


Bibliographie

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