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Citations

« Les forêts ont été les premiers temples de la divinité, et les hommes ont pris dans les forêts la première idée d’architecture. »

— François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme (1802), éd. Garnier Frères, 1828, t. Partie 3, chap. VIII, Livre I, p. 293


« Fils aînés de l’antiquité, les Français, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. »

— François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme (1802), éd. Garnier Frères, 1828, t. Partie 3, chap. V, Livre III, p. 328


« La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique, et je reculai. Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 1, chap. Livre V, p. 234-235


« [...] les Français vont instinctivement au pouvoir ; ils n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole. Or, l’égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 4, chap. Livre VI, p. 85


« Tout mensonge répété devient une vérité : on ne saurait avoir trop de mépris pour les opinions humaines. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 4, chap. Livre IX, p. 242


« Les vieillards d’autrefois étaient moins malheureux et moins isolés que ceux d’aujourd’hui : si, en demeurant sur la terre, ils avaient perdu leurs amis, peu de chose du reste avait changé autour d’eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l’étaient pas à la société. Maintenant, un traînard dans ce monde a non-seulement vu mourir les hommes, mais il a vu mourir les idées : principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu’il a connu. Il est d’une race différente de l’espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours.

Et pourtant, France du XIXe siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait. Vous deviendrez vieille à votre tour et l’on vous accusera, comme on nous accusait, de tenir à des idées surannées. Ce sont vos pères que vous avez vaincus ; ne les reniez pas, vous êtes sortie de leur sang. S’ils n’eussent été généreusement fidèles aux antiques mœurs, vous n’auriez pas puisé dans cette fidélité native l’énergie qui a fait votre gloire dans les mœurs nouvelles ; ce n’est, entre les deux Frances, qu’une transformation de vertu. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 2, chap. Livre VII, p. 61-62


« 2° Considérer la Turquie, telle qu’elle était au règne de François Ier, comme une puissance utile à notre politique, c’est retrancher trois siècles de l’histoire.

Prétendre civiliser la Turquie en lui donnant des bateaux à vapeur et des chemins de fer, en disciplinant ses armées, en lui apprenant à manœuvrer ses flottes, ce n’est pas étendre la civilisation en Orient, c’est introduire la barbarie en Occident : des Ibrahim futurs pourront ramener l’avenir au temps de Charles-Martel, ou au temps du siège de Vienne, quand l’Europe fut sauvée par cette héroïque Pologne, sur laquelle pèse l’ingratitude des rois.

Je dois remarquer que j’ai été le seul, avec Benjamin Constant, à signaler l’imprévoyance des gouvernements chrétiens : un peuple dont l’ordre social est fondé sur l’esclavage et la polygamie est un peuple qu’il faut renvoyer aux steppes des Mongols.

En dernier résultat, la Turquie d’Europe, devenue vassale de la Russie en vertu du traité d’Unkiar Skélessi, n’existe plus : si la question doit se décider immédiatement, ce dont je doute, il serait peut-être mieux qu’un empire indépendant eût son siège à Constantinople et fît un tout de la Grèce. Cela est-il possible ? je l’ignore. Quant à Méhémet-Ali, fermier et douanier impitoyable, l’Égypte, dans l’intérêt de la France, est mieux gardée par lui qu’elle ne le serait par les Anglais.

Mais je m’évertue à démontrer l’honneur de la Restauration ; eh ! qui s’inquiète de ce qu’elle a fait, surtout qui s’en inquiétera dans quelques années ? Autant vaudrait m’échauffer pour les intérêts de Tyr et d’Ecbatane : ce monde passé n’est plus et ne sera plus. Après Alexandre, commença le pouvoir romain ; après César, le christianisme changea le monde ; après Charlemagne, la nuit féodale engendra une nouvelle société ; après Napoléon, néant : on ne voit venir ni empire, ni religion, ni barbares. La civilisation est montée à son plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale ; on n’arrive à la création des peuples que par les routes du ciel : les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l’abîme. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 5, chap. Livre XII, Lettre à Madame Récamier, 15 novembre 1828, p. 66-67


« En principe de grande civilisation, l’espèce humaine ne peut que gagner à la destruction de l’empire ottoman : mieux vaut mille fois pour les peuples la domination de la Croix à Constantinople que celle du Croissant. Tous les éléments de la morale et de la société politique sont au fond du christianisme, tous les germes de la destruction sociale sont dans la religion de Mahomet. On dit que le sultan actuel a fait des pas vers la civilisation : est-ce parce qu’il a essayé, à l’aide de quelques renégats français, de quelques officiers anglais et autrichiens, de soumettre ses hordes fanatiques à des exercices réguliers ? Et depuis quand l’apprentissage machinal des armes est-il la civilisation ? C’est une faute énorme, c’est presqu’un crime d’avoir initié les Turcs dans la science de notre tactique : il faut baptiser les soldats qu’on discipline, à moins qu’on ne veuille élever à dessein des destructeurs de la société.

L’imprévoyance est grande : l’Autriche, qui s’applaudit de l’organisation des armées ottomanes, serait la première à porter la peine de sa joie : si les Turcs battaient les Russes, à plus forte raison seraient-ils capables de se mesurer avec les impériaux leurs voisins ; Vienne cette fois n’échapperait pas au grand vizir. Le reste de l’Europe, qui croit n’avoir rien à craindre de la Porte, serait-il plus en sûreté ? Des hommes à passions et à courte vue veulent que la Turquie soit une puissance militaire régulière, qu’elle entre dans le droit commun de paix et de guerre des nations civilisées, le tout pour maintenir je ne sais quelle balance, dont le mot vide de sens dispense ces hommes d’avoir une idée : quelles seraient les conséquences de ces volontés réalisées ? Quand il plairait au sultan, sous un prétexte quelconque, d’attaquer un gouvernement chrétien, une flotte constantinopolitaine bien manœuvrée, augmentée de la flotte du pacha d’Égypte et du contingent maritime des puissances barbaresques, déclarerait les côtes de l’Espagne ou de l’Italie en état de blocus, débarquerait cinquante mille hommes à Carthagène ou à Naples. Vous ne voulez pas planter la Croix sur Sainte-Sophie : continuez de discipliner des hordes de Turcs, d’Albanais, de Nègres et d’Arabes, et avant vingt ans peut-être le Croissant brillera sur le dôme de Saint-Pierre. Appellerez-vous alors l’Europe à une croisade contre des infidèles armés de la peste, de l’esclavage et du Coran ? il sera trop tard. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 5, chap. Livre XII, Lettre à M. le comte de la Ferronnays, 30 novembre 1828, p. 88-90


« L’Angleterre, d’ailleurs, a toujours fait bon marché des rois et de la liberté des peuples ; elle est toujours prête à sacrifier sans remords monarchie ou république à ses intérêts particuliers. Naguère encore, elle proclamait l’indépendance des colonies espagnoles, en même temps qu’elle refusait de reconnaître celle de la Grèce ; elle envoyait ses flottes appuyer les insurgés du Mexique, et faisait arrêter dans la Tamise quelques chétifs bateaux à vapeur destinés pour les Hellènes ; elle admettait la légitimité des droits de Mahmoud, et niait celle des droits de Ferdinand ; vouée tour à tour au despotisme ou à la démocratie, selon le vent qui amenait dans ses ports les vaisseaux des marchands de la cité. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 5, chap. Livre XII, Lettre à M. le comte de la Ferronnays, 30 novembre 1828, p. 79-80


« La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra-t-elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d’un frère. [...]

Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait-il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera-t-il un idiome universel, ou y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient-elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe souillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 6, chap. Livre X, 25 septembre 1841, p. 457-458


« Les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe ni dans leur résultat. [...]

Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. »

— François-René de Chateaubriand, « Itinéraire de Paris à Jérusalem » (1811), dans Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, t. 5, p. 334-335


« Ceux qui s’applaudissent tant aujourd’hui du progrès des lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d’Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?

Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. »

— François-René de Chateaubriand, « Itinéraire de Paris à Jérusalem » (1811), dans Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, t. 5, p. 334


« Ce n’est pas dans le premier moment d’une émotion très vive que l’on jouit le plus de ses sentiments. Je m’avançais vers Athènes avec une espèce de plaisir qui m’ôtait le pouvoir de la réflexion ; non que j’éprouvasse quelque chose de semblable à ce que j’avais senti à la vue de Lacédémone. Sparte et Athènes ont conservé jusque dans leurs ruines leurs différents caractères : celles de la première sont tristes, graves et solitaires ; celles de la seconde sont riantes, légères, habitées. A l’aspect de la patrie de Lycurgue, toutes les pensées deviennent sérieuses, mâles et profondes ; l’âme, fortifiée, semble s’élever et s’agrandir ; devant la ville de Solon, on est comme enchanté par les prestiges du génie ; on a l’idée de la perfection de l’homme considéré comme un être intelligent et immortel. Les hauts sentiments de la nature humaine prenaient à Athènes quelque chose d’élégant qu’ils n’avaient point à Sparte. L’amour de la patrie et de la liberté n’était point pour les Athéniens un instinct aveugle, mais un sentiment éclairé, fondé sur ce goût du beau dans tous les genres, que le ciel leur avait si libéralement départi ; enfin, en passant des ruines de Lacédémone aux ruines d’Athènes je sentis que j’aurais voulu mourir avec Léonidas et vivre avec Périclès. »

— François-René de Chateaubriand, « Itinéraire de Paris à Jérusalem » (1811), dans Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, t. 5, p. 178-179


« L’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. »

— François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1848), éd. Garnier, 1910, t. 1, chap. Livre Premier, p. 5


« Il serait impossible d’entrer dans le détail de la philosophie des encyclopédistes ; la plupart sont déjà oubliés, et il ne reste d’eux que la Révolution française. Traiter de leurs livres n’est pas plus facile ; ils n’y ont point exposé de systèmes complets. Nous voyons seulement, par plusieurs ouvrages de Diderot, qu’il admettait le plus pur athéisme, sans en apporter que de mauvaises raisons. Voltaire n’entendait rien en métaphysique : il rit, fait de beaux vers, et distille l’immoralité. Ceux qui se rapprochent encore plus de nous ne sont guère plus forts en raisonnement. Helvétius a écrit des livres d’enfants, remplis de sophismes que le moindre grimaud de collège pourrait réfuter. J’éviter de parler de Condillac et de Mably, je ne dis pas de Jean-Jacques et de Montesquieu, deux hommes d’une trempe supérieure aux encyclopédistes.

Quel fut donc l’esprit de cette secte ? La destruction. Détruire, voilà leur but ; détruire, leur argument. Que voulaient-ils mettre à la place des choses présentes ? Rien. C’était une rage contre les institutions de leur pays, qui, à la vérité, n’étaient pas excellentes ; mais enfin quiconque renverse doit rétablir, et c’est la chose difficile, la chose qui doit nous mettre en garde contre les innovations. C’est un effet de notre faiblesse que les vérités négatives sont à la portée de tout le monde, tandis que les raisons positives ne se découvrent qu’aux grands hommes. Un sot vous dira aisément une bonne raison contre, presque jamais une bonne raison pour.

Ayant à parler ailleurs des encyclopédistes, je finirai ici leur article, après avoir remarqué que, si l’on trouve que je parle trop durement de ces savants, estimables à beaucoup d’autres égards, et moi aussi je leur rends justice de ce côté-là. Mais j’en appelle à tout homme impartial : qu’ont-ils produit ? Dois-je me passionner pour leur athéisme ? Newton, Locke, Bacon, Grotius, étaient-ils des esprits faibles, inférieurs à l’auteur de Jacques le Fataliste, à celui des Contes de mon Cousin Vadé ? N’entendaient-ils rien en morale, en physique, en métaphysique, en politique ? J.-J. Rousseau était-il une petite âme ? Eh bien, tous croyaient au Dieu de leur patrie, tous prêchaient religion et vertu. D’ailleurs, il y a une réflexion désolante : était-ce bien l’opinion intime de leur conscience que les encyclopédistes publiaient ? Les hommes sont si vains, si faibles, que souvent l’envie de faire du bruit les fait avancer des choses dont ils ne possèdent pas la conviction ; et après tout je ne sais si un homme est parfaitement sûr de ce qu’il pense réellement. »

— François-René de Chateaubriand, « Essai sur les révolutions » (1797), dans Œuvres complètes, éd. Lefèvre, 1836, t. I, p. 166
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