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State

« Face à son déclassement, la Nomenklatura s'accroche à ses privilèges. Au nom de quelle légitimité supérieure, des jeunes gens de 20 ans se verraient attribuer, tel un brevet d'officier d'Ancien Régime, un droit sur la société, irrévocable et incontestable ? Pourquoi, toute leur vie, le fait d'appartenir à un grand corps d'État leur permettrait-il de réussir plus vite dans les affaires ou dans la politique, d'appartenir ès qualités à l'establishment, de disposer d'une possibilité de retour, telle une base arrière, après chaque incursion professionnelle nouvelle ? Quelles compétences spécifiques, liées à l'appartenance administrative, leur garantissent-elles la réussite professionnelle ? Si, à l'intérieur des grilles de jugement de la technocratie, ils semblent échouer, d'où vient que leur soit assuré un statut minimum hors de portée de cadres plus méritants mains moins "bien nés" ? Car il s'agit bien d'une deuxième naissance qui fabrique une noblesse d'adolescence, forte de privilèges, auxquels aucune aristocratie traditionnelle n'oserait prétendre. La plupart des hommes politiques: membres des grands corps de l'État ou, au minimum, énarques. La plupart des patrons de banques et d'entreprises: membres de la même franc-maçonnerie. Sans compter les ramifications vers les services, les médias, le monde culturel. Aucun autre pays ne concentre autant de pouvoirs entre les mains d'un "club" aussi restreint, sauf le Japon. »

Economy

« Ne nous dit-on pas que doivent cohabiter deux types d'entreprises, les unes régies par les règles du privé, les autres mues par un impératif d'intérêt général, et que de leur émulation naît le progrès ? Absurde évidemment: quelle mission d'ordre supérieur Renault assure-t-elle que Peugeot méprise ? La vitrine sociale ? Elle est enfin cassée, qui avait conduit la Régie au bord du gouffre. Les vertus du bon contribuable ? Peugeot se vante, à bon droit, d'avoir payé davantage d'impôts, et de s'être sauvée de la faillite sans subventions publiques. L'attitude à l'égard des sous-traitants et de l'environnement ? Elle est évidemment la même. Si les entreprises publiques suivaient une autre logique que les entreprises privées, les lois de la concurrence les ramèneraient à la raison et, pour s'y être essayées en 1982, elles en connaissent le prix.

La société de marché ne peut, elle, tabler sur la moindre pression européenne pour forcer les résistances. Il n'existe de grand marché ni pour l'éducation, ni pour les systèmes sociaux, ni pour les services publics. Seules l'inefficacité et l'improductivité pourraient conduire, par le long détour d'une prise de conscience, à l'introduction d'un minimum de marché. »

« Le capitalisme est un pari sur le mouvement : c'est de là que vient le progrès. »

« Le marché ne peut fonctionner sans une inégalité d'informations. Les prix résultent d'un processus qui exige des informations différentes et des comportements hétérogènes de la part des acteurs.

Il n'existe pas de délit d'initié, puisque celui-ci participe à la formation du juste prix: la plus-value constitue la récompense du rôle joué au profit de la collectivité en contribuant à faciliter l'équilibre du marché. »

« La création de la moindre grande surface, soumise à l'autorisation discrétionnaire d'une commission départementale d'urbanisme commercial, s'achète en fonction d'un barème que les praticiens de la grande distribution connaissent au franc près.

Les marchés public locaux : quelle vision du monde politique, et plus généralement de l'âme humaine, peut avoir un industriel dont les débouchés s'achètent, dont les emplois sont préservés par un recours systématique à la vénalité, dont les profits dépendent de sa capacité de séduction financière ?

Les sommes en jeu représentent sans doute plusieurs centaines de millions de francs dès lors qu'à en croire les experts en opacité il faut appliquer un prélèvement de 1 à 2% sur l'essentiel des marchés locaux. »

« La libération des mouvements de capitaux en Europe sera un formidable accélérateur. Dès lors que, le premier juillet 1990, les flux seront libres et que chacun pourra placer son épargne à sa guise, les écarts d'imposition deviendront discriminatoires. Entre un plan d'épargne logement à Édimbourg, une SICAV luxembourgeoise et un fonds d'investissement spécialisé en Espagne, l'épargnant, sollicité de toutes parts, choisira en fonction du rendement et de la fiscalité. Les tentatives de la Commission ont fait long feu, qui visaient à instaurer une retenue à la source significative. Le chiffre avancé de 20% n'a pas tenu face à la Grande-Bretagne, trop attachée aux avantages que la City peut tirer de placements défiscalisés; à la République fédérale qui a abandonné une retenue ayant provoqué il y a quelques mois une fuite inattendue de capitaux; au Luxembourg, soucieux de préserver son principal instrument de compétitivité, sa fiscalité à taux zéro. Même si des faux-semblants s'imposent un moment, le mouvement est irréversible, qui conduira à une exonération complète des revenus des capitaux en Europe. Ce sera, dans la course à la conquête de l'épargne, un évènement majeur de voir ainsi une des trois économies dominantes devenir un "continent fiscalement off-shore": l'exception sera devenue la règle, et la pression sera forte sur les USA et le Japon pour qu'ils alignent leur propre fiscalité, sous peine d'énormes distorsions des placements au profit de l'Europe.

Le grand marché ne réduit pas le libéralisme à la libre circulation des produits ; il porte en germe l'alignement des budgets publics et sociaux sur le minimum européen, et donc sur l'État le moins social-démocrate. Poussée jusqu'à son paroxysme, la concurrence des produits et des services entraîne l'harmonisation des charges fiscales et sociales. Elle exerce donc une pression naturelle à la baisse des impôts. Derrière 1992 se profile le recalibrage budgétaire du rôle de l'État, la réduction de ses ressources et donc le rétrécissement de sa capacité d'action. »

« Un moindre recours au système sanitaire; un éloignement de fait des régimes de retraite; l'incapacité de bénéficier des allocations familiales; l'impossibilité de toucher des allocations chômage: toutes ces prestations sont faites pour des citoyens recensés, ayant un domicile fixe, susceptibles de remplir des formulaires et de disposer d'une adresse pour recevoir les virements.

L'intérêt général a eu bon dos, le jour de 1982 où le gouvernement a fait porter sur l'indemnisation du chômage de longue durée les 10 milliards d'économie qu'il devait faire en catastrophe; les partenaires sociaux n'ont pas mis longtemps à valider cette décision par un accord inter-professionnel. Ce n'était que la préfiguration des multiples effets pervers qu'entraîneront les économies à réaliser, dès lors que, dans le respect des normes apparemment égalitaires du système, elles tomberont sur les plus modestes. »

« Un petit club de responsables, de surcroît compétents, quadrille désormais le système capitaliste français, lui restituant une allure oligarchique qu'il était en train de perdre. Cette dérive témoigne, à sa manière, de la "lutte des classes" naissante entre les managers et les actionnaires, donc d'une certaine façon entre l'entreprise et le marché. Les premiers proclament que l'entreprise possède une identité indépendante de ses actionnaires, qu'ils en sont l'expression, et que le droit de propriété doit s'exercer tempéré par cette réalité. Les seconds s'attachent au principe suivant lequel le propriétaire a tous les droits. Encore faut-il que le droit de propriété puisse s'exercer. Des centaines de milliers d'actionnaires, sans représentation, sans fonds collectifs de gestion, constituent le meilleur terreau pour la toute-puissance des gestionnaires: les assemblées générales de sociétés seront-elles la dernière enceinte à connaître des majorités de 98% ?

La puissance du marché aidant, les actionnaires renaissent et les gestionnaires n'ont de cesse de se protéger: soit en renforçant les chaînes de solidarité et de protection mutuelle, soit en limitant, par des artifices, les droits de vote des actions, soit encore de façon plus radicale en poussant l'entreprise à se racheter elle-même, ce qui a l'avantage majeur de les transformer en leurs propres actionnaires. L'OPA est symboliquement au cœur du combat entre actionnaires et gestionnaires. Pour les premiers, elle constitue le seul moyen de mettre fin à cette nouvelle appropriation privée des moyens de production que constitue la mainmise de managers, parfois médiocres, sur leur entreprise, pour leur seul profit en terme de pouvoir et de confort.

Seule la menace de l'OPA peut faire sortir les managers de leur engourdissement, les obligeant à accomplir par peur ce que de nouveaux propriétaires auraient, à coup sûr, fait par intérêt. Pour les seconds, l'obsession d'une hypothétique attaque détourne l'entreprise de sa mission qui est de produire et de vendre, au profit de stratégies de défense destructrices en termes de réflexion, de temps gaspillé, d'argent arraché à l'investissement. Pour les premiers, seul le capitalisme démocratique est efficace, puisqu'il rend impossibles l'immobilité et l'inefficacité. Pour les seconds, le capitalisme oligarchique trouve sa raison d'être en faisant prévaloir les intérêts à long terme de l'entreprise sur d'hypothétiques aléas. »

« La corruption est un élément clef, toujours tu, de l'économie du tiers-monde, avec des formes privées accumulées à l'étranger souvent supérieures à la dette intérieure et extérieure du pays: le bilan consolidé de certains PVD ne manquerait pas de surprendre si l'on y insérait le patrimoine de leurs élites dirigeantes. »