Oswald Spengler
Citationes
« Paul prophète a déclaré l'ancien Testament accompli et achevé, Marcion fondateur de religion le déclare vaincu et aboli. Il veut supprimer les derniers restes de judaïsme. Il n'a combattu, sa vie durant, que les Juifs. Comme chaque authentique fondateur de religion et chaque époque créatrice en religion, comme Zoroastre et les prophètes d'Israël, comme les Grecs d'Homère et les Germains convertis au Christianisme, il a transformé les anciens dieux en puissance du mal. [...]
Marcion devint par là le véritable créateur du Nouveau Testament. [...] Il n'avait voulu, ce faisant, ni augmenter ni remplacer les évangiles proprement dits, mais il a créé, en pleine conscience, à la différence de Marc, quelque chose de tout à fait nouveau, le premier "livre saint" de la littérature chrétienne, le Coran de la nouvelle religion. Ce livre prouve qu'on sentait déjà dans cette religion quelque chose d'achevé et de durable. »
« Ainsi fut résolue la tendance citadine et occidentale de la jeune église. Les derniers païens furent nommés plus tard pagani, ou gens de la campagne. »
« [...] les Juifs étaient devenus une nation magique sans patrie et sans unité de descendance, à Jérusalem on se cramponnait à la conception raciale tribale. Il ne s'agissait pas de "mission juive" ou de "mission païenne" : le dualisme était bien plus profond. Le mot mission a ici deux sens tout différents. Au sens judaïque, il n'avait pas besoin de prosélytisme proprement dit ; au contraire, le prosélytisme était contradictoire à l'idée de mission. Les concepts de race et de mission s'excluent réciproquement. Les hommes du peuple élu, et en particulier les clercs, avaient simplement à se convaincre que la promesse était maintenant un fait accompli. Mais dans le second cas, l'idée de nation magique reposant sur un consensus impliquait qu'avec la résurrection la vérité complète et définitive et, grâce au consensus sur elle, par conséquent aussi le fondement de la vraie nation, étaient des donnés qu'il fallait désormais étendre jusqu'à leur faire absorber toutes les données plus anciennes idéellement imparfaites. »
« Le christianisme est la seule religion de l'histoire universelle, où un destin humain du présent immédiat a été transformé en symbole et en point central de toute la création. »
« Si la fondation de Pétersbourg a été le premier acte de l'Antichrist, l'autodestruction de la société formée par Pétersbourg en est le second : tel doit être le sentiment intérieur de la paysannerie. [...] Le vrai Russe est un disciple de Dostoïewski, bien qu'il ne le lise pas, bien que et parce qu'il ne sait même pas lire. »
« J’appelle pseudomorphose historique les cas dans lesquels une vieille culture étrangère couvre le sol, avec une telle puissance qu’elle empêche une jeune culture de respirer et que celle-ci n’arrive pas, dans son propre domaine, non seulement à développer ses formes d’expression pures, mais encore à l’épanouissement complet de la conscience d’elle-même. Tout ce qui s'élève des profondeurs d'une mentalité printanière se déverse dans les formes creuses de la vie étrangère ; des sentiments juvéniles se figent dans des œuvres vieillottes et, au lieu de l'élan en hauteur de la force végétative indépendante, seule la sève de la haine nourrit des branches gigantesques contre la force lointaine. »
« C'est dans les villes cosmopolites que naît, à côté d'une minorité qui a une histoire et qui vit la nation intérieurement, qui la sent représentée chez elle et qui veut la diriger, une seconde minorité, celle des hommes intemporels, ahistoriques, littérateurs, hommes des raisons et des causes, non du destin, et qui, intérieurement étrangers au sang et à l'existence, tout à fait êtres éveillés pensants, ne découvrent plus au concept de nation aucun contenu "raisonnable". Ils ne lui appartiennent plus réellement, car les peuples de culture sont de formes de courants existentiels, tandis que le cosmopolitisme est une simple combinaison des "intelligences" éveillées. Il renferme de la haine contre le destin, avant tout contre l'histoire comme expression du destin. Tout ce qui est national est racial à tel point qu'il ne trouve aucune langue pour l'exprimer et qu'il reste, dans toutes les exigences de la pensée, gauche et malheureux jusqu'à la fatalité. Le cosmopolitisme est littérature et le restera, très fort dans l'argumentation et très faible dans la défense de cette argumentation, non au moyen de nouveaux arguments, mais au moyen du sang. »
« L'écriture est le grand symbole du lointain, c'est-à-dire non seulement de la largeur, mais aussi et surtout de la durée, de l'avenir, de la volonté d'éternité. Parler et entendre ne se font que dans la proximité et le présent, mais par l'écriture on parle à des hommes qu'on n'a jamais vus, ou qui ne sont pas encore nés, et la voix d'un homme est entendue encore des siècles après sa mort. »
« [...] la race est dans une connexion correspondante avec tout ce que nous appelons la vie, considérée comme lutte pour la puissance, avec l'histoire, considérée comme destin, avec ce qui s'appelle aujourd'hui la politique. »
« Ainsi se termine l'histoire de la ville. Passant de marché à la ville de culture et de là à la ville mondiale, elle sacrifie le sang et l'âme de ses créateurs à cette évolution grandiose et à sa dernière floraison, l'esprit de la civilisation, et elle finit ainsi par se tuer aussi elle-même. »
« Le grand tournant apparaît au moment précis où la pensée vulgaire d'une population très civilisée trouve des "raisons" pour l'existence des enfants. La nature ignore ces raisons. Partout où il y a vie réelle règne une logique intérieure organique, un impersonnel, un instinct, qui sont absolument indépendants du nexus causal et ne sont même pas aperçus par la vie. L'abondance des naissances chez les populations originelles est un phénomène naturel, dont personne ne songe à fonder l'existence et, à plus forte raison, l'utilité ou l'inconvénient. Là où on introduit des raisons dans les questions vitales, la vie elle-même devient déjà un problème. »
« La nostalgie de la grande ville est peut-être la plus forte. Pour lui, chaque grande ville est sa patrie, mais le village prochain est déjà l'Étranger. Il aime mieux mourir sur le pavé que de retourner à la campagne »
« Avec la civilisation commence la sénilité. Les vieilles racines de l'être se dessèchent dans la masse pierreuse des villes. L'esprit libre — parole fatidique ! — apparaît comme une flamme resplendissante qui s'élève dans les airs, où elle s'éteint tout à coup. »
« L'agriculture a introduit, la première, une profonde révolution — car elle est art et, comme tel, absolument étrangère au chasseur et au pasteur : on bêche et laboure non pour détruire, mais pour transformer la nature. Planter n'est pas prendre quelque chose, mais le produire. Mais ainsi, on devient soi-même plante, c'est-à-dire paysan. On prend racine dans le sol qu'on cultive. L'âme humain découvre une âme dans le paysage, un nouvel enchaînement de l’être à la terre s'annonce comme devant être un nouveau mode de sentir. D'hostile, la nature devient notre amie, notre mère. Nous sentons un profond rapport entre semer et engendrer, entre la moisson et la mort, le grain et l'enfant. »
« Nous possédons, en conséquence, un droit privé fondé sur l'ombre de l'économie antique tardive. La profonde amertume avec laquelle on oppose capitalisme et socialisme, depuis le début de la vie économique occidentale civilisée, vient en grande partie de ce que la pensé juridique savante, et par elle, celle de l'élite en général, rattachent à des états et à des organisations de la vie antique, des concepts aussi décisifs que ceux de personne, de chose et de propriété. [...]
Nous voilà revenus à nouveau à cette question : Qui a créé le droit occidental et pour qui l'a-t-il créé ? Le préteur romain était propriétaire foncier, officier, expert en finances et en administration, par là même préparé tout d'abord au rôle de juge et de justicier. Dans un cité cosmopolite de l’antiquité tardive, le préteur pérégrin maniait le droit des étrangers comme un droit de circulation économique, sans plan ni tendance, en parlant de cas réellement constatés. »
« L'habitude s'est développée très tôt de ne plus appliquer les vieilles lois de la cité en général à la matière effective de chaque cas particulier, mais de citer les textes des juristes et de la Bible. Qu'est-ce que cela signifie ? Pour nos romanistes, c'est un signe de décadence très profonde dans le régime juridique. Du point de vue arabe, c'est le contraire : cela prouve que ces hommes ont enfin réussi à s'assimiler intérieurement une littérature étranger imposée, et sous la forme unique que pouvait prendre en considération leur propre sentiment cosmique. Là se révèle toute l'antithèse du sentiment cosmique de l'Arabe et de celui de l'antiquité. »
« Ce concept arabe de la nation est un fait nouveau tout à fait décisif. Entre la patrie et l'Étranger, la culture apollinienne situait la frontière entre deux cités, la magique entre deux communautés de foi. Le pérégrin, l‘hostis, était au Romain ce que le païen est au chrétien, l‘amharez au Juif. »
« Cette technique machinique arrive à terme avec l'homme faustien et sera un jour démolie et oubliée — les chemins de fer et les bateaux à vapeur apparaîtront comme autrefois les voies romaines et la muraille de Chine, nos villes géantes avec leurs gratte-ciel comme les palais des anciennes Memphis et Babylone. »
« La pensée faustienne arrive bientôt à réplétion de la technique. Une fatigue se répand, une sorte de pacifisme dans la lutte contre la nature. On se tourne vers des formes de vie plus simples et plus proches de la nature, on fait du sport plutôt que des essais techniques, on hait les grandes villes, on cherche à s'extraire de la contrainte des activités dénuées d'âme, du joug de la machine, de l'atmosphère claire et froide de l'organisation technique. Les dons justement forts et créatifs se détournent des problèmes et des sciences pratiques au profit de la pure spéculation. L'occultisme et le spiritisme, les philosophies indiennes, les ruminations métaphysiques à teneur chrétienne ou païenne que l'on méprisait de temps de Darwin, refont surface. C'est l'état d'âme de la Rome augustéenne. Par dégoût de la vie, on fuit la civilisation pour les contrées primitives de la planète, par le vagabondage ou le suicide. »
« D'où l'aspiration profonde, désespérée des hommes d'exception à rester intérieurement libres. C'est là et seulement à partir de là que l'individualisme prend son essor en s'opposant à la psychologie de la "masse". Telle est la dernière rébellion de l'âme carnassière contre la captivité culturelle, la dernière tentative pour se soustraire au nivellement intellectuel et spirituel, nivellement causé et représenté par l'existence du grand nombre. De là les figures du conquérant, de l'aventurier, de l'ermite, et même d'un certain type de criminels et de bohémiens. On veut échapper à l'effet vampirique du grand nombre en se plaçant au-dessus d'eux, en les fuyant, les méprisant. L'idée de la personnalité, encore dans les limbes, est une protestation contre l'homme de la masse. La tension des deux s'accroît jusqu'à un dénouement tragique. »
« L'histoire, quant à elle, est hier comme aujourd'hui l'histoire des guerres. »
« Sans aucun doute, l'athéisme bien compris est l'expression nécessaire d'une mentalité achevée en soi, épuisée dans ses possibilités religieuses, vouée à l'anorganique. [...] L'athéisme fait partie de l'homme de la civilisation commençante, non encore de celui de l'"époque des lumières". Il appartient à la grande ville, il appartient à "l'homme instruit" des grandes villes qui s'approprie mécaniquement ce que ses ancêtres qui ont crée sa culture ont vécu organiquement. [...] Mais l'homme des villes mondiales est irréligieux. »
« Il n'y a pas de science naturelle sans religion antérieure. »
« La métaphysique stricte a épuisé ses possibilités. La ville cosmopolitique a définitivement vaincu la campagne et son esprit se constitue aujourd'hui une théorie propre, nécessairement dirigée vers le dehors, mécaniste, sans âme. [...] Le philosophe n'est pas plus libre de choisir ses thèmes, que la philosophie d'avoir partant et toujours les mêmes thèmes. »
« Cette extinction de la religiosité intérieure vivante forme et pénètre peu à peu jusqu'à moindre trait de l'existence et elle se manifeste dans l'image historique du monde comme la transition de la culture à la civilisation, comme le climactrium de la culture, selon le nom que je lui ai déjà donné, tournant de son histoire où la fécondité psychique d'une espèce humaine s'éteint pour toujours et où la génération fait place à la construction. Si l'on rend tout son poids originel au mot stérilité, il désignera le destin complet de l'homme-cerveau des villes cosmopolites, et l'un des traits les plus significatifs de ce tournant symbolique est qu'il exprime non seulement l’extinction du grand art, des grandes formes sociales, des grands systèmes philosophiques, du grand style en général, mais aussi de manière tout à fait physiologique, la non-prolificité et la mort raciale des couches sociales civilisées, déracinées du pays, phénomène très remarqué et très déploré déjà aux époques impériale de Rome et de la Chine, mais nécessairement impossible à atténuer. »
« Chaque culture a donc son propre mode d'extinction psychique, et elle n'en a qu'un seul, résultant avec une nécessité très profonde de sa vie tout entière. »
« La ville cosmopolite elle-même se dresse, comme point extrême anorganique au milieu du paysage de culture, dont elle déracine les hommes, les attire à elle et les suce. »
« Si l'on admet que le socialisme, entendu au sens éthique, non économique, est le sentiment cosmique qui poursuit au nom de tous son opinion propre, nous sommes tous socialistes sans exception, que nous le sachions et le voulions ou non. Même Nietzsche ; le plus passionné des adversaires de toute "morale grégaire", est tout à fait incapable de restreindre à soi-même son zèle au sens antique. Il ne pense qu'à "l'humanité". Il attaque tous ceux qui pensent différemment. Épicure, au contraire, restait froidement indifférent aux pensées et aux actions des autres. Il n'a pas dépensé la moindre réflexion à une réforme de l'humanité. Il était, comme ses amis, satisfait d'être ce qu'il était et non autre chose. L'idéal de la vie antique était le désintéressement (απαθεια) à ce qui se passe dans le monde, c'est-à-dire précisément à ce dont la domination fait pour l'homme faustien le contenu intégral de la vie. Le concept essentiel de la αδιαϕορα fait partie de cette catégorie. Il y a aussi un polythéisme moral en Hellade. À preuve l'insouciante coordination des Épicuriens, des Stoïciens et de Cyniques. Mais le Zarathoustra tout entier — qui prétend s'établir "au delà du bien et du mal" — respire la douleur de voir les hommes tels qu'on ne veut pas les voir, la passion profonde, si absolument non-antique, d'utiliser naturellement la vie à les transformer selon sa propre et unique direction. Et c'est là précisément, dans cette générale transvaluation, qu'est le monothéisme éthique, qui est le socialisme au sens nouveau et plus profond. Tous les réformateurs du monde sont socialistes. Il n'y a donc pas de réformateurs dans le monde antique. »
« Tout devenu est périssable. Périssables non seulement les peuples, les langues, les races, les cultures. Dans quelques siècles, il n'y aura plus de culture européenne d'Occident, plus d'Allemands, d'Anglais, de Français, comme il n'y avait plus de Romania au temps de Justinien. Ce n'était pas la suite des générations humaines qui était alors éteinte, mais la forme intérieure d'un peuple, qui avait condensé en une physionomie unitaire un certain nombre de ces générations, avait cessé d'exister. Le civis Romanus, tout en étant un des symboles les plus puissants de l'être antique, n'avait néanmoins comme forme qu'une durée de quelques siècles. Mais le phénomène primaire de la grande culture en général disparaîtra un jour, lui aussi, de même que le spectacle de l'histoire universelle et enfin l'homme lui-même et, par delà l'homme, l'apparition de la vie végétale et animale à la surface de la terre, cette terre même, le soleil et l'univers entier des systèmes solaires. Tout art est mortel, non seulement les œuvres individuelles, mais les arts eux-mêmes. Un jour, le dernier portrait de Rembrandt et la dernière mesure de la musique de Mozart auront cessé d'exister, même si une toile peinte ou un feuillet de notes aura peut-être subsisté, parce que le dernier œil et la dernière oreille, auxquels leur langage formel était accessible, auront disparu. Périssables chaque pensée, chaque croyance , chaque science, dès que sont éteints les esprits dans les univers desquels leurs "vérités éternelles" étaient senties comme vraies avec nécessité. Périssables même les étoiles qui "apparaissent" aux astronomes du Nil et de l'Euphrate comme des univers pour un œil, car notre œil — également périssable — est différent. Nous savons cela. Un animal ne le sait pas, et ce qu'il ne sait pas n'existe pas dans la réalité vivante de son univers ambiant. Mais avec l'image du passé disparaît aussi le désir nostalgique de donner au passé un sens plus profond. »
« L'homme est le seul vivant connaissant la mort. Tous les autres vieillissent, mais leur conscience reste absolument restreinte au moment, qui doit leur paraître éternel. Ils vivent sans rien savoir de la vie, comme ces enfants de première jeunesse que le christianisme désigne encore sous le nom d'"innocents". Ils meurent et voient mourir, mais n'en savent rien. L'homme entièrement éveillé, l'homme proprement dit, dont l'intelligence est dégagée de la vision de l'habitude du langage, est le premier à posséder, outre la sensation, également le concept de trépas, c'est-à-dire une mémoire du passé et une expérience de l'irrévocable. Nous sommes le temps, mais nous possédons aussi une image de l'histoire et dans cette image, en considérant la mort, la naissance nous apparaît comme la deuxième énigme. Pour tous les autres vivants, la vie s'écoule sans le moindre pressentiment de sa limité, c'est-à-dire sans qu'ils en sachent le rôle, le sens, la durée et le but. »
« À la surface des événements cosmiques règne l'imprévu. Il adhère comme marque distinctive à tout événement isolé, à toute décision particulière, à toute personne individuelle. Nul n'a prévu le bond de l'Islam dans l'apparition de Mohammed, ou Napoléon dans la chute de Robespierre. L'arrivée des grands hommes, ce qu'ils entreprennent, le succès de ces entreprises – sont incommensurables : personne ne sait si une évolution puissante en germe s'achèvera à grands traits, comme la noblesse romaine, ou tombera victime du sort, comme les Hohenstaufen et la culture Maya tout entière.
« C'est le sens de tous les déclins dans l'histoire — le sens de l'accomplissement intérieur et extérieur, celui de la fin qui menace toutes les cultures vivantes ; — parmi ces déclins, le plus distinct, celui de "l'antiquité", s'étale à grands traits sous nos yeux, tandis qu'en nous et autour de nous, nous suivons clairement à la trace les premiers symptômes de notre événement, absolument semblable au premier par son cours et sa durée et appartenant aux premiers siècles du prochain millénaire, le "déclin de l'Occident". »
« Une masse à perte de vue d'êtres vivants humains, une onde immense jaillie des profondeurs d'un passé obscur, où notre sentiment du temps perd son efficacité organisatrice et où l'imagination sans trêve — ou la peur — nous a transportés comme par enchantement dans l'image de périodes géologiques terrestres pour y dissimuler une énigme à jamais insoluble ; un courant qui se perd dans un futur aussi obscur et atemporel : tel est le fondement de l'image faustienne de l'histoire humaine. »
« Ville mondiale signifie cosmopolitisme au lieu de "patrie", sens froid des réalités au lieu de respect pour la tradition et ses enfants, irréligion scientifique pétrifiant la religion du cœur qui l'a précédée, "sociétés" au lieu d'États, droits naturels au lieu de droits acquis. L'argent, comme grandeur anorganique, abstraite, dépouillée de tout rapport avec le sens du sol fertile et les valeurs d'une économie domestique primitive — est un avantage que les Romains avaient sur les Grecs. La ville mondiale n’a pas un peuple, mais une masse. Son incompréhension du traditionnel, dans lequel elle combat la culture (la noblesse, l’église, les privilèges, la dynastie, les conventions artistiques, la possibilité d’une limite à la connaissance scientifique) ; son intelligence froide et perspicace, supérieure à celle du paysan ; son naturalisme d’un sens tout nouveau, qui prend sa source dans les instincts les plus vieux et les conditions primitives de l’homme, par delà Socrate et Rousseau et loin derrière eux, en ce qui concerne toutes les questions sexuelles et sociales ; le panem et circences qui reparaît sous le manteau de la lutte des salaires et de la place du sport — tout cela marque, à côté de la culture définitivement achevée, à côté de la province, une forme tout à fait nouvelle et tardive, sans avenir, mais inévitable, de l’existence humaine. »