Différences entre les versions de « Michel Clouscard »
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+ | |auteur=Michel Clouscard | ||
+ | |titre=La Bête sauvage | ||
+ | |année d'origine=1983 | ||
+ | |éditeur=Kontre Kulture | ||
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« Mais le grand capital ne fait pas les réinvestissements productifs pourtant autorisés par les surprofits de l’ascendance. D’une part, il va se spécialiser dans des industries d’avant-garde, qui autorisent les exportations, les nouveaux marchés, la rentrée des devises. D’autres part, il va exporter ses capitaux, investir ailleurs, produire non français, abandonner le sol national. » | « Mais le grand capital ne fait pas les réinvestissements productifs pourtant autorisés par les surprofits de l’ascendance. D’une part, il va se spécialiser dans des industries d’avant-garde, qui autorisent les exportations, les nouveaux marchés, la rentrée des devises. D’autres part, il va exporter ses capitaux, investir ailleurs, produire non français, abandonner le sol national. » |
Version du 19 février 2020 à 14:33
Citationes
« Avec le marché du désir, la jouissance devient une marchandise : toute la problématique morale traditionnelle est balayée par la nouvelle économie politique. Le désir est innocenté. Le nouveau genre de vie va témoigner d’un amoralisme radical. »
« Il fallait une révolution. Il fallait Mai 68 pour débloquer la situation et légaliser, institutionnaliser le marché du désir. »
« Le terrain est libre : la nouvelle forme marchande peut s’élancer à la conquête de la société globale ; la nation va devenir son marché. Elle va faire du citoyen un client, “un consommateur”. Plus d’interdits, un marché du désir en constante expansion [...]. La Bête sauvage va enfler, enfler... »
« Les GI’s ont été des conquérants-libérateurs. Ils ont triomphé du nazisme — le débarquement — et importé les premiers produits du rêve américain. L’impérialisme économique est aussi la paix... américaine. [...]
Par le potlatch du plan Marshall, le capitalisme américain a conquis une suzeraineté politique sur les nations européennes, et un marché. »
« Le passage du désir au marché peut très facilement se faire, car les deux sont dans la continuité, l’homogénéité du profit. La consommation transgressive est une forme désirante déjà constituée par l’économie du profit. »
« Mais le grand capital ne fait pas les réinvestissements productifs pourtant autorisés par les surprofits de l’ascendance. D’une part, il va se spécialiser dans des industries d’avant-garde, qui autorisent les exportations, les nouveaux marchés, la rentrée des devises. D’autres part, il va exporter ses capitaux, investir ailleurs, produire non français, abandonner le sol national. »
« La fin de la philosophie d’Aristote (qui avait proposé l’Un de l’unité grecque) est le moment où cette problématique apparaît. Deux héritiers : le stoïcisme et l’épicurisme, proposent des éléments anthropologiques. Quels sont les besoins nécessaires et suffisants ? Mais la solution débouche sur une aporie : soit la jouissance, soit la privation, soit l’extinction des besoins, soit leur développement. »
« Plus de lieu naturel, mais la banlieue anonyme. Tout un acquis de civilisation — le chez soi même du plus pauvre, l’harmonie de la vie privée et de la vie domestique dans une nature humanisée par le travail de l’homme, le pas de porte, ouvert sur la vie communautaire et sur cette nature humanisée (ce que Holderling appelle “le nationel”, qui est le lieu commun de l’éternelle poésie et de la culture populaire) — a été anéanti peut-être à jamais. »
« Pour mettre en place la société civile il faut détruire la culture de la France traditionnelle, France “profonde”, France “réelle”. »
« [...] l’État doit organiser la libéralisation des mœurs qui permettra la meilleure circulation de la nouvelle marchandise. L’État a besoin d’une société civile qui dénonce... l’État. Aussi, le dogmatisme, le gauchisme, les nouveaux philosophes sont les fourriers de la société civile voulue par l’appareil d’État soumis aux multinationales. »
« [...] le capitalisme a produit la société civile, ce que Hegel appelait “la Bête Sauvage” : une société qui n’est plus qu’un marché [...]. »
« Il n’y a plus de référence à une transcendance substantialisante et il ne doit pas y avoir de participation institutionnelle. Le néant est le prix de la liberté, libre pour rien. C’est la philosophie de Sartre, celle du libéralisme. »
« Il n’y a plus de référence à une transcendance substantialisante et il ne doit pas y avoir de participation institutionnelle. Le néant est le prix de la liberté, libre pour rien. C’est la philosophie de Sartre, celle du libéralisme. »
« Rousseau a remis sur ses pieds ce qui marchait la tête en bas. Il a renvoyé dos à dos la pensée de la théocratie monarchiste et du positivisme des Lumières. Cette dé-construction lui a permis la synthèse, c’est-à-dire de reprendre les fondamentaux de la pensée en une unité de la conscience [...]. »
« Sartre a réalisé le passage de la vieille bourgeoisie éclairée et libérale au libéralisme libertaire de ces nouvelles couches moyennes. »
« Le dernier Sartre n’est pas tellement éloigné du dernier R. Aron. Leur ultime rencontre n’a pas été que symbolique. À eux deux, ils auront constitué l’éclatante, prestigieuse, scintillante idéologie de la modernité. Celle de la société civile, le mode d’emploi de la société “post-industrielle” voulue par le néo-capitalisme. C’est l’idéologie du libéralisme social-démocrate, de la convergence des deux dynamiques, celle de la grande réconciliation, celle de l’actuel consensus de la société française.
La contradiction droite-gauche, celle de R. Aron et de J.-P. Sartre, une fois déployée se révèle en sa vérité : la dualité de complémentarité du libéralisme avancé et de la social-démocratie libertaire. »
« La dynamique venue de droite est celle de R. Aron, franche du collier. Elle a liquidé la vieille droite bête et méchante, conservatrice et même réactionnaire, qui voulait empêcher le progrès (cette droite, essentiellement des PME venues du CCL, laissées-pour-compte de la monopolisation et de l’étatisation du capitalisme, est devenue un archaïsme — poujadiste — aux résurgences modernistes — Le Pen). Ce libéralisme se dit en termes économiques et politiques. C’est celui du management organisé au sommet : le capitalisme monopoliste d’État, pouvoir de la grande bourgeoisie déjà “libérale” car ayant joué le gaullisme contre le pétainisme. Ce libéralisme économique a mis en place le bloc production de série-consommation de masse, qui est le lieu objectif de la société civile, lieu commun au libéralisme et à la social-démocratie. »
« Le sociologisme parachève le jeu idéologique du libéralisme. D’abord les médias conditionnent. Puis le sociologisme “découvre” scientifiquement, comme expression “spontanée”, la réalité imposée par l’idéologie dominante [...].
Le libéralisme peut ainsi se camoufler derrière le sociologisme. En même temps que l’opinion devient libérale elle est habilitée par la connaissance scientifique. Tout se passe comme si le fait de connaître scientifiquement l’opinion rendait l’opinion scientifique. »
« Il faut proposer, nous l’avons vu, les modèles de la consommation libidinale, ludique marginale. C’est une conquête de marché, qui consiste à faire du citoyen un client. Mais, pour ce faire, il faut modifier les représentation politiques, se débarrasser d’un civisme qui freine l’expansion de la société civile.
Foucault fera éclater les cadres traditionnels de la société républicaine par la promotion du fou et du sexe, les deux vecteur traditionnels de l’irrationnel. Tant que la société les exclut et les marginalise, la société civile est soumise aux valeurs républicaines de l’État et de la famille. Lorsqu’ils sont inclus dans le système relationnel, cette société civile dispose des moyens — irrationnels — de repousser la rationalité éducative, laïque, républicaine, démocratique. »
« [...] cette nature libertaire de la société est la finalité du capitalisme. Avec le libertaire, le libéralisme accomplit son concept.
[...] la société civile du marché du désir exige des modèles de consommation libidinale, ludique, marginale d’ordre libertaire. »
« L’idéologie de mai 1968 a été aronienne (sans le savoir, sans vouloir le savoir). Avec un supplément d’âme, il est vrai libertaire. Les nouveaux philosophes ont repris ses thèmes pour les mettre au goût du jour. »
« Les nouveaux philosophes ont proposé un rapport d’engendrement réciproque de l’opinion et de la culture par le marketing. »
« [...] alors que la bourgeoisie [...] aurait pu devenir conscience politique et proposer de s’allier à la classe ouvrière, cette bourgeoisie a préféré se convertir en bourgeoisie du libéralisme libertaire. C’est qu’elle accédait ainsi à de prestigieux statuts sociaux, aux postes d’encadrement de cette nouvelle société : management et surtout animation. »
« La doxa n’est que la mise en relation du pouvoir et du sexe, leur témoin à la fois critique et complaisant.
Le mondain est le concept le plus synthétique, qui permet d’appréhender le jeu commun du sexe, du pouvoir, de l’opinion. »
« Le libéralisme a totalement récupéré la Révolution français. »
« Le néo-libéralisme économique et culturel a besoin de l’impérialisme. Il n’existe que dans l’espace géopolitique de cet impérialisme. »
« Le “je” de la psychanalyse n’est donc que la maximale réduction, par le libéralisme, du sujet produit par l’histoire. De même pour les autres composantes gnoséologiques de l’attelage : le sur-moi et le ça.
De la dialectique nature-culture qui a commencé dans la préhistoire et qui à travers la logique de la production (mode de production primitif, esclavagiste, féodal) en est arrivée au mode de production du capitalisme, de tout un processus d’hominisation, il n’est retenu que les pulsions sexuelles comme détermination de la nature ! Il faut le faire. Toute la logique des besoins est écartée, ignorée, et par conséquent toute la dialectique du besoin et du désir qui s’accomplit et s’objective par la dialectique des classes sociales. Le libéralisme est ce moment où le désir peut enfin fonctionner en dehors du besoin. Les pulsions “sauvages” vont se manifester dans un champ culturel constitué par l’histoire. [...]
L’Œdipe a libéré le capitalisme : la société civile triomphe. L’atome social est totalement “libéré” dans la mesure où la psychanalyse permet d’“oublier” le processus de son engendrement. »
Le nouveau bourgeois « est passé du positivisme de la libre entreprise économique au positivisme de la libre entreprise libidinale. C’est la même économie politique qui gère l’avoir et le sexe, le même point de vue utilitaire et pragmatique, platement réaliste ; les freudo-marxistes qui radicalisent le discours libéral et les économistes anglais qui ont théorisé le libéralisme économique développent les mêmes principes de l’économie politique libérale : le meilleur profit de la machine (mécanique ou charnelle). Mais, alors que le positivisme de l’entrepreneur libéral s’inscrivait dans un ensemble productif, celui de l’entreprise libidinale du nouveau bourgeois s’inscrit dans le procès de consommation, selon des modèles culturels qui banalisent cette libido. »
« Une nouvelle “élite intellectuelle” a surgi, en totale rupture avec le discours traditionnel de l’artiste et de l’intellectuel. Elle est issue des deux grandes fonctions régulatrices de l’ordre libéral : le management et l’animation. »
« [...] la femme ; les couches moyennes ; l’intellectuel médiatique et l’artiste ; le manager et l’animateur. Ce sont les acteurs de la stratégie de séduction du libéralisme, les prescripteurs de la société civile, les diffuseurs des modèles culturels de l’émancipation et de la libéralisation. »
« Il faut passer de la famille close, monadique, famille nucléaire de l’ordre positiviste, à la famille éclatée, divisée, totalement livrée à l’économie du marché du désir. Il faut faire du surplus, lieu subjectif du manque, de la frustration, le moyen objectif de régulation sociale. »
« La critique du bourgeois est devenue la nouvelle manière d’être bourgeois [...]. »
« Le concurrentiel de la libre entreprise est sous-jacent à la concurrence amoureuse. Entre l’homme et la femme, c’est l’implacable loi de l’offre et de la demande. »
« [...] le romanesque est l’émanation spécifique de la bourgeoisie. [...]
Le romanesque — la plus belle invention de la bourgeoisie après le capitalisme ? [...]
Le romanesque est immanent à la classe bourgeoise. »
« Le romantisme est exclu et s’exclut de toute politique. En ce sens, il peut paraître comme réactionnaire.
Mais, à la différence du vrai réactionnaire, il n’y a pas, chez le romantique, passage à l’acte, travail de restauration. L’homme politique romantique n’existe pas. »
« On passe de l’affrontement des idées à celui des personnes.
Le débat d’idées devient affaire de mœurs. La problématiques de la nature devient celle du sexe. L’accomplissement naturel — sexuel — est empêché, interdit ? Il faut donc transgresser. Le plaisir est autant dans cette transgression — des idées, de l’ordre établi — que dans la jouissance des créature. »
« Hollywood, c’est la publicité du capitalisme. »
— Michel Clouscard, « Apostrophes », Antenne 2, 26 mars 1982
« Pas de mariage et pas d’enfant : l’aventure, la liaison et l’avortement, constant mot d’ordre de la phallocratie bourgeoise. »
« [...] la femme a tout à gagner des lois sociales et le phallocrate a tout à gagner du féminisme. L’émancipation mondaine de la femme non seulement s’accompagne d’une plus grande garantie d’usage pour le phallo mais encore élargit extraordinairement son champ de consommation. »
« Le féminisme est cette idéologie qui consacre une nouvelle et terrible ségrégation dans le sexe féminin. Ségrégation de classe qui organise deux destins de femme.
Celles qui parviennent, arrivent. Qui s’intègrent à la dynamique du système. Celles qui ont droit aux essais et erreurs. Aux expériences non seulement permises mais recommandées. Et qui, en définitive, réussissent ou réussiront leurs mariages, leurs enfants, leurs carrières. Et celles pour qui l’avortement, le divorce, le travail-chômage sont de terribles drames, des traumatismes irrécupérables, des épreuves insurmontables. [...]
Le système a su gérer magistralement cet échec. Grâce à ses lois “sociales” qui empêchent ces femmes de s’insurger. Il a su récupérer le négatif par une bonne gestion de l’échec : un bon avortement, un bon divorce, un bon chômage. Toute une population féminine est assurée de “réussir” ses échecs. Au prix d’une insatisfaction profonde. »
« Le féminisme n’a aucun fondement théorique. [...]
Certes, le féminisme relève d’un bon sentiment. À l’origine, c’est la saine et même sainte colère de la femme outragée. C’est vouloir reconquérir une dignité bafouée. Dignité de la femme scandalisée d’être réduite à la seule valeur d’usage. [...]
Mais ces bons sentiments sont aussitôt récupérés par l’idéologie, par le féminisme. Ce ne sera pas la faute du néo-capitalisme. Ce ne sera pas la social-démocratie libertaire qui sera responsable. Mais l’homme. Pas tel groupe d’hommes. Mais l’homme en général. L’homme en tant qu’essence. Et c’est en défaisant l’homme que la nouvelle femme se fera. »
« La lutte des sexes n’a de sens que par la lutte des classes. »
« La seule mesure de l’égalité politique entre l’homme et la femme, c’est l’égalité devant le travail. C’est l’égalité proposée par le socialisme (celui qui lutte contre la social-démocratie). C’est la seule manière d’en finir à la fois avec l’Ève éternelle et l’Homme éternel. Alors plus de phallocrates ni de féministes. Mais un rôle commun, dans le procès de production et de consommation. [...]
L’émancipation ne peut être que l’émancipation du sexe par le sexe. Alors la contradiction fondamentale du féminisme — l’égalité des sexes par le sexisme — s’avère la coquetterie de la femme moderne. »
« Ce n’est pas la société capitaliste qui a récupéré la libido. Mais la société capitaliste qui a “inventé ” la libido. [...]
L’idéologie social-démocrate, à partir du plan Marshall, est devenue l’idéologie de l’émancipation libidinale, ludique, marginale. Le fonctionnel — acquis par le travail des autres — devient ludique en même temps que la France se soumet au modèle américain. »
« Autre archétype du rêve libertaire de la social-démocratie : sur les barricades, en jeans, baskets, treillis, cheveux longs ruisselants, estampe estompée par la fumée des grenades (défensives), flou artistique, le sable sous le pavé, le pavé à la main, l’étudiant brave les CRS. »
« Le néo-capitalisme a privatisé à outrance : la différence. Pour produire ce modèle standard : l’individu de la social-démocratie libertaire. Un genre unique. Celui de tout individu. »
« Les civilisations de l’Occident s’étaient transmises ce message. À partir des conflits mythiques de l’Olympe que la civilisation grecque avait proposés pour instaurer et maintenir la hiérarchie de ses valeurs. Mythes repris par le Moyen Âge chrétien : les allégories de la civilisation chevaleresque. L’éthique devenue esthétique. Le mythe féodal s’était prolongé dans le romanesque de la bourgeoisie : l’amour ascèse, le long et douloureux travail de la reconnaissance des âmes dans le monde. Enfin ces catégories — éternelles — s’étaient axiomatisées en un scientisme petit-bourgeois : le Je, le Ça, le Sur-moi. Ultime stade d’une entropie. Tels sont les quatre moments du parcours gréco-judéo-chrétien : quatre moments de la culture de l’âme et du cœur face aux séductions du monde. »
« En ces lieux, chacun se prostitue au succès. L’argent aussi. D’abord l’argent : le producteur est à la remorque du réinvestissement. Il fait la cour au succès qu’il ne faut pas manquer sous peine de faillite. Vedette et producteur se font mutuellement la cour. Quant à Jeunesse et Beauté, elles ne savent plus à qui se prostituer. À la vedette, au producteur, au metteur en scène, au journaliste, à l’animateur ? Il n’y aura de Beauté que reconnue, statutaire, codifiée par tous ces entremetteurs du succès. Peut-il y avoir une Beauté si elle n’est pas mise sur la scène du monde, si elle n’accède pas au pouvoir mondain, si elle n’a pas le rôle de la Beauté : mannequin, artiste de cinéma, cover-girl, etc. ? Que de Cendrillons attendent que leur beauté soit reconnue par ces princes charmants. »
« Cette “civilisation” ne peut revendiquer aucune tradition, aucune référence historique. Elle est radicalement autre. Elle ne peut être justifiée ni par le paganisme ni par le Sauvage. »
« Ce corps a acquis une autonomie quasi totale. »
« Il faut souligner que l’idéologie freudo-marxiste — essentielle composante de l’idéologie social-démocrate — a connu sa croissance et son expansion dans la période d’ascendance du capitalisme monopoliste d’État. Pour culminer et connaître son apothéose en Mai 68 (estudiantin). C’est l’idéologie de la consommation libidinale, ludique, marginale autorisée par la totale expansion de la société civile. »
« Le hippie se situe, lui aussi, dans cette mouvance. Comme un charognard, il s’installe dans la misère rurale. De la désertification, il fait un décor bucolique. De la restauration archaïque et artisanale — au noir — une source de revenus. »
« [...] le libéralisme économique est étatique et l’appareil d’État est social-démocrate. Le capitalisme a viré à gauche — au niveau politico-culturel — et a viré à droite — au niveau économico-social. »
« C’est le rythme du capitalisme : le rock. Le rythme sans le swing est l’essence temporelle de ce capitalisme. Il est l’expression corporelle de “l’aliénation de l’homme”. La marque du rythme répétitif, saccadé, fébrile, de la machine. La répétition égoïste et sécurisante du Même. La volonté de consommer sans rien produire. Et refus de l’échange, du partage. »
« Ce prétendu swing devient du coup le modèle de la contestation, de la subversion de la société industrielle et capitaliste. C’est une substance : un lieu, une race, une essence naturelle. Le Noir swingue et témoigne ainsi d’une pureté ontologique que le Blanc, par son histoire, a reniée, effacée de son corps, pour se soumettre au gestuel policé de la civilisation.
Grâce au rock, le Blanc pourrait retrouver cette innocence d’avant la civilisation (l’antéprédicatif). Ces idéologues diront que le rock libère le corps de son carcan religieux et moral, du maintien gauche occidental. Alors le corps n’est plus guindé, honteux de lui-même. Il s’exprime. Le corps modelé par la religion, culpabilisé, corps du péché, peut se défouler, se libérer des tabous. »
« Le drogué est l’essence même de la société de consommation. [...] La drogue est le fétiche par excellence. [...]
Alors qu’elle se croit marginale, la symbolique contestataire de la drogue non seulement s’intègre au système mais en est le ciment. [...] De modèle sélectif, la drogue est devenue une pratique sociale, de masse.
Le drogué contestataire fait lui-même la publicité et la promotion du système. »
« Entre les drogues du drogué contestataire et celles de la thérapeutique “normale” il n’y a pas de différence de nature. Mais de dose. De degré dans l’accoutumance. C’est la même maladie, le même syndrome, la même thérapeutique. La drogue cause la maladie, puis la drogue “soigne” l’effet de la maladie ! [...] Extraordinaire paradoxe, certes : la drogue, de marginalité subversive devient norme et prescription médicale. »
« L’urbanisme sauvage, la cité-dortoir sont le résultat d’un formidable déplacement de population. Avec, comme corollaire, la désertification des campagnes.
Aussi, les temporalités traditionnelles — celles qui autorisaient le rythme villageois de la société préindustrielle et qui s’étaient maintenues même sous le capitalisme concurrentiel libéral — ont été totalement liquidées. Naguère, le temps de travail et le temps de non-travail s’organisaient autour de la cellule familiale. […]
Pour substituer au rythme rural le productivisme généralisé, l’exploitation capitaliste a désintégré la cellule familiale. C’est le lieu de l’emploi et non plus le lieu d’origine qui fixe la famille, maintenant. Une extraordinaire diaspora des régions recouvre l’hexagone. »
« L’idéologie de la consommation fait de la sexualité une consommation parmi d’autres. »
« L’humanisme écologisant sera le véhicule de la bonne volonté (celle qui pave l’enfer), de l’idéologie. Il permet de développer un discours bienveillant, cordial, généreux même. Cet aspect humain s’épanouit d’abord dans le paternalisme. »
« La culture de l’incivisme doit aménager un savant mélange de bons sentiments et de contestation subversive. »
« Pour ce nouveau banquet, une nouvelle tenue de sortie l’imposait. Le narcissisme de classe change de toilette. Les habits du dimanche deviennent démodés lorsque le dimanche s’étale sur la semaine. [...]
Le blue-jean permet de franchir d’un bond barrières et niveaux de l’étiquette bourgeoise, pour revêtir le corps idéal, celui qu’Hollywood a mis si longtemps à forger dans son usine à rêver. Les jeans permettent de passer de la robe modèle au corps modèle. »
« [...] le ludique du néo-capitalisme dénonce le sérieux — de la société traditionnelle. Et pour ce faire il dispose de cet alibi : ce sérieux est — aussi — celui de la bourgeoisie du capitalisme concurrentiel libéral. La promotion du ludique sera alors la dénonciation de l’oppression bourgeoise ! »
« Le plan Marshall est bien l’acte étymologique de notre modernité. Son rôle est fondamental. Dans l’immédiat après-guerre, il a greffé une économie d’abondance sur une économie de la rareté, de la misère même. Et il a greffé le module américain culturel dans une société traditionnelle, rurale. Cette acculturation radicale a autorisé ainsi un phénomène radicalement nouveau ; l’immanence de l’économique et du culturel. Alors que dans la société traditionnelle, les deux termes se disposent selon la plus grande distance possible et conservent une autonomie relative certaine, la modernité sera l’immanence de leurs rapports d’expression. Le culturel sera l’expression des besoins idéologiques du marché. C’est la définition de la société civile, que Hegel avait prévue et dénoncée. »
« L’enfant est alors d’une totale disponibilité. A la consommation. Voyez sa manipulation de l’objet-marchandise. Il fait preuve d’une dextérité, d’une désinvolture qui stupéfient le cercle de famille. Il témoigne d’une agilité d’usage, d’une facilité insolentes.
Toute une culture — celle de la technologie de la société industrielle avancée — s’est consacrée, au prix d’un immense travail au développement du confort. Et sa caractéristique est d’avoir pu atteindre une extraordinaire facilité de son usage : il suffit d’appuyer sur un bouton. Le principe de la pédagogie d’intégration au système capitaliste est alors cet usage magique — par l’enfant — du fonctionnel. [...]
Le capitalisme veut que nous restions jeunes et que nous soyons comme des enfants ! Le travail des uns sera l’éternelle adolescence des autres. »
« [...] c’est un phénomène nouveau, énorme, capital —, l’intellectuel de gauche vient d’accéder à la consommation mondaine. Et il en est même le principal usager.
Pire, encore, il est devenu le maître à penser du monde. Il propose les modèles culturels du mondain. Non seulement il a accédé à la consommation mondaine, mais il en est l’un des patrons. Il a la toute-puissance de prescrire et de codifier l’ordre du désir. »