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« Ce qui est vrai pour l’imaginaire, les rêves d’un ordre social renversé ou aboli, trouve un corollaire au niveau des pratiques concrètes de résistance dissimulées, ce que j’ai appelé l’infrapolitique. La plupart des chercheurs en sciences sociales ne perçoivent l’activité politique que lorsqu’elle est mise en oeuvre dans le cadre d’un “mouvement” formel et organisé — une organisation avec un nom, des chefs, un programme, ''c’est-à-dire'' un mouvement social public et reconnaissable comme tel. Or la plupart des femmes et des hommes, au cours de l’histoire de l’humanité, n’ont pu jouir du luxe d’appartenir à de tels mouvements organisés et publics. »
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« Ce qui est vrai pour l’imaginaire, les rêves d’un ordre social renversé ou aboli, trouve un corollaire au niveau des pratiques concrètes de résistance dissimulées, ce que j’ai appelé l’infrapolitique. La plupart des chercheurs en sciences sociales ne perçoivent l’activité politique que lorsqu’elle est mise en œuvre dans le cadre d’un “mouvement” formel et organisé — une organisation avec un nom, des chefs, un programme, ''c’est-à-dire'' un mouvement social public et reconnaissable comme tel. Or la plupart des femmes et des hommes, au cours de l’histoire de l’humanité, n’ont pu jouir du luxe d’appartenir à de tels mouvements organisés et publics. »
 
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« Jusqu’à fort récemment, la plus grande partie de la vie politique active des groupes dominés a été ignorée parce qu’elle a lieu a un niveau qui est rarement reconnu comme politique. [...] l’action politique au grand jour est loin de constituer la totalité de l’action politique en général. »
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« Jusqu’à fort récemment, la plus grande partie de la vie politique active des groupes dominés a été ignorée parce qu’elle a lieu à un niveau qui est rarement reconnu comme politique. [...] l’action politique au grand jour est loin de constituer la totalité de l’action politique en général. »
 
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Version actuelle datée du 20 août 2024 à 11:12

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Citations

« Nous faisons face à une extinction des espèces qui a aussi touché les peuples, les cultures et les langues. Les langues disparaissent et à chaque fois que cela arrive c’est comme si nous perdions une espèce : nous perdons un monde, une sensibilité. En réprimant les peuples indigènes nous avons perdu une sorte de biodiversité culturelle. »

— « Autonomie, résistance infrapolitique et universalisme choisi », James C. Scott, Réfractions, nº 43, Automne 2019


« [...] les grands acquis émancipateurs et porteurs de liberté pour l’humanité ne sont pas le fruit de procédures institutionnelles ordonnées, mais bien d’actions désordonnées, imprévues et spontanées qui ont fissuré l’ordre social de bas en haut. »

— James C. Scott, Petit éloge de l’anarchisme (2012), trad. Patrick Cadorette et Miriam Heap-Lalonde, éd. Lux Éditeur, 2019 (ISBN 9782895963004), p. 228


« Un jour, vous serez appelés à enfreindre une grosse loi au nom de la justice et de la rationalité. Tout en dépendra. Vous devrez être prêts. Comment vous préparerez-vous à ce jour où votre choix sera vraiment important ? Il faut “garder la forme” pour être prêts quand le grand jour arrivera. Ce dont vous avez besoin, c’est d’une “callisthénie anarchiste”. Chaque jour, si possible, enfreignez une loi ou un règlement mineur qui n’a aucun sens, ne serait-ce qu’en traversant la rue hors du passage piéton. Servez-vous de votre tête pour juger si une loi est juste ou raisonnable. De cette façon, vous resterez en forme ; et quand le grand jour viendra, vous serez prêts. »

— James C. Scott, Petit éloge de l’anarchisme (2012), trad. Patrick Cadorette et Miriam Heap-Lalonde, éd. Lux Éditeur, 2019 (ISBN 9782895963004), p. 36


« Il existe tout un domaine que je nomme “infrapolitique” parce qu’il se situe hors de l’éventail visible de ce que l’on considère habituellement comme de l’activité politique. L’État a de tout temps contrecarré l’organisation des classes subordonnées, sans parler des épisodes de contestation publique. Pour les groupes subalternes, ce type d’activité politique est dangereux. Ceux-ci ont en grande partie compris, comme les guérillas, que la divisibilité, les petits nombres et la dispersion les aident à échapper aux représailles.

Par infrapolitique, j’entends les actes tels que le ralentissement délibéré, le braconnage, le chapardage, la dissimulation, le sabotage, la désertion, l’absentéisme, l’occupation illégale et la fuite. Pourquoi risquer d’être fusillé après une mutinerie ratée quand la désertion fait tout aussi bien l’affaire ? À quoi bon risquer l’invasion ouverte d’une terre lorsque l’occupation illégale procure de facto la terre et les droits ? Pourquoi ouvertement lutter pour l’accès à la forêt et pour le droit au produit de la pêche et de la chasse quand le braconnage permet d’atteindre les mêmes buts en douce ? Dans plusieurs cas, ces moyens autonomes d’améliorer sa condition matérielle se multiplient et sont soutenus par des convictions fortes, profondément ancrées dans la collectivité, à l’égard de la conscription, des guerres injustes et du droit à la terre et à la nature, convictions qui ne peuvent être exprimées ouvertement en toute sûreté. Pourtant, la somme de milliers, et même de millions, de petits actes peut entraîner des effets majeurs sur la guerre, le droit à la terre, les impôts et les rapports de propriété. »

— James C. Scott, Petit éloge de l’anarchisme (2012), trad. Patrick Cadorette et Miriam Heap-Lalonde, éd. Lux Éditeur, 2019 (ISBN 9782895963004), p. 20-21


« Lorsque l’identité est stigmatisée par l’État ou la société plus large, elle a de grandes chances de devenir pour beaucoup une identité de résistance et de défiance. Là, les identités inventées se combinent avec la production héroïque de soi, au cours de laquelle de telles identifications deviennent un signe distinctif arboré avec fierté. »

— James C. Scott, Zomia ou l’Art de ne pas être gouverné (2009), trad. Nicolas Guilhot, Frédéric Joly et Olivier Ruchet, éd. Seuil, 2013 (ISBN 9782757878231), p. 15-16


« Mon objectif consiste à déconstruire les discours de civilisation, chinois et autres, sur le “barbare”, le “cru”, le “primitif”. Après examen attentif, ces termes signifient en pratique “non gouverné”, “non encore incorporé”. Les discours de civilisation n’imaginent en effet jamais la possibilité que des gens choisissent volontairement de rejoindre les barbares, et de tels statuts sont dès lors stigmatisés et ethnicisés. La “tribu” et l’ethnie commencent exactement là où les impôts et la souveraineté s’arrêtent — que ce soit au sein de l’Empire romain ou de l’Empire chinois. »

— James C. Scott, Zomia ou l’Art de ne pas être gouverné (2009), trad. Nicolas Guilhot, Frédéric Joly et Olivier Ruchet, éd. Seuil, 2013 (ISBN 9782757878231), p. 12


« Ce qui est vrai pour l’imaginaire, les rêves d’un ordre social renversé ou aboli, trouve un corollaire au niveau des pratiques concrètes de résistance dissimulées, ce que j’ai appelé l’infrapolitique. La plupart des chercheurs en sciences sociales ne perçoivent l’activité politique que lorsqu’elle est mise en œuvre dans le cadre d’un “mouvement” formel et organisé — une organisation avec un nom, des chefs, un programme, c’est-à-dire un mouvement social public et reconnaissable comme tel. Or la plupart des femmes et des hommes, au cours de l’histoire de l’humanité, n’ont pu jouir du luxe d’appartenir à de tels mouvements organisés et publics. »

— « Entretien avec James C. Scott », Gilles Chantraine et Olivier Ruchet, Vacarme, nº 42, Hiver 2008


« L’infra-politique est [...] essentiellement une forme stratégique que la résistance des sujets doit prendre lorsqu’elle est soumise à un trop grand danger.

Les impératifs stratégiques de l’infra-politique ne la rendent pas seulement différente en degré des politiques publiques des démocraties modernes : ils imposent une logique totalement différente de l’action politique. Aucune revendication publique n’est faite, aucune ligne symbolique n’est tracée. Toute action politique prend des formes conçues pour masquer ses intentions ou pour les dissimuler derrière un sens apparent. Pratiquement, personne n’agit en son nom pour des raisons voulues : cela irait à l’encontre du but recherché. C’est précisément parce qu’une telle action politique est scrupuleusement conçue pour être anonyme ou pour nier son but, que l’infra-politique appelle davantage qu’une interprétation réductrice. Les choses ne sont pas exactement ce qu’elles semblent être. ».

— « Infra-politique des groupes subalternes », James C. Scott, Vacarme, nº 36, Été 2006


« À l’évidence, l’infrapolitique est de la vraie politique. À de nombreux égards, elle est conduite de manière plus entière, avec des enjeux plus élevés, et avec des obstacles à franchir plus conséquents que la vie politique dans les démocraties libérales. C’est un terrain très réel qui est perdu ou gagné. Des armées sont défaites et des révolutions rendues possibles par l’oubli par le pouvoir de l’infrapolitique. Des droits de propriété sont de facto établis ou remis en cause. Les États rencontrent des crises fiscales ou des crises d’appropriation lorsque ces petits stratagèmes, presque insignifiants individuellement, sont multipliés par leurs sujets pour les priver de la jouissance du travail ou des impôts. Des subcultures résistantes prônant la dignité et des rêves de vengeance sont développées et nourries. Un discours contre-hégémonique est élaboré. Ainsi, l’infrapolitique, comme nous l’avons souligné plus haut, est continuellement en train de tester, de presser, de caresser les limites de ce qui est permis. Tout relâchement de la surveillance et des punitions et le tirage au flanc menace de se transformer en grève déclarée, les contes populaires d’agression se métamorphosent en défi et en mépris jeté au visage, les rêves millénaristes deviennent politiques révolutionnaires. Dans cette perspective, l’infrapolitique peut être vue comme la forme élémentaire — au sens de fondatrice — de la politique. C’est la pierre angulaire sur laquelle reposent certaines formes d’action politique institutionnalisées qui ne pourraient pas exister sans elle. Dans les conditions de tyrannie et de persécution dans lesquelles vivent la plupart des sujets politiques, c’est la vie politique. Et lorsque les rares civilités de la vie politique ouverte sont rognées ou détruites, comme elles le sont souvent, les formes élémentaires de l’infrapolitique demeurent comme défense en profondeur des sans-pouvoir. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 345


« Dans la mesure où l’activité politique ouverte est pratiquement impossible, la résistance est confinée aux réseaux informels de parenté, de voisinage, aux cercles d’amis et aux membres de la communauté plutôt qu’à une organisation formelle. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 343


« Rumeurs et contes ne peuvent agir directement et affirmer leurs intentions, et ils constituent ainsi une stratégie symbolique également bien adaptée à des sujets dépourvus de droits politiques. De même encore, l’imagerie millénariste et les inversion symboliques de la religion populaire sont les équivalents infrapolitiques des contre-idéologies radicales et publiques : chacune d’entre elles vise à nier le symbolisme public de la domination idéologique. Ainsi, l’infrapolitique est essentiellement une forme stratégique que doit revêtir la résistance des sujets lorsque le danger est trop grand. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 343


« Tant que notre conception de ce qu’est le politique se réduit aux activités déclarées ouvertement, nous sommes amenés à conclure que les groupes dominés n’ont pas de vie politique, ou bien que la vie politique qu’ils peuvent avoir se borne aux moments exceptionnels d’explosion populaire. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 342


« Jusqu’à fort récemment, la plus grande partie de la vie politique active des groupes dominés a été ignorée parce qu’elle a lieu à un niveau qui est rarement reconnu comme politique. [...] l’action politique au grand jour est loin de constituer la totalité de l’action politique en général. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 340-342


« L’évasion fiscale des paysans sur une grande échelle a entraîné des crises d’appropriation qui ont menacé les États. La désertion massive de serfs ou de conscrits paysans a contribué à la chute de plus d’un ancien régime. Dans des conditions appropriées, l’accumulation de ces actes insignifiants peut, comme des flocons de neige agglutinés sur le flanc d’une montagne, déclencher une avalanche. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 332


« Le texte caché n’est pas que rumination et grognements en coulisse ; il donne lieu à une série de stratagèmes discrets et pratiques visant à minimiser l’appropriation. Chez les esclaves, par exemple ces stratagèmes ont traditionnellement inclus le chapardage, le maraudage, l’ignorance feinte, le travail bâclé ou feint, le tirage au flanc, le troc et la production souterraine, le sabotage des récoltes ou des machines, voire des bêtes, les incendies volontaires, la fuite, etc. Chez les paysans, le braconnage, l’occupation illégale des terres, le glanage non autorisé, le versement de loyers en nature inférieurs au dû, le défrichement de champs clandestins et le manquement aux impôts seigneuriaux ont constitué des stratagèmes courants. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 325


« [...] chaque domaine de résistance publique à la domination est suivi de près par l’ombre d’une sœur jumelle infrapolitique qui s’efforce d’atteindre les mêmes objectifs stratégiques, mais dont la discrétion est mieux adaptée pour résister à un adversaire qui remporterait probablement toute confrontation ouverte. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 319


« En conséquence, la lutte prudente menée quotidiennement par les groupes dominés porte, à l’instar de rayons infrarouges, au-delà du segment visible du spectre de leur perception. Comme nous l’avons vu, c’est largement à dessein que cette lutte demeure invisible — par le fait d’un choix tactique informé par une sage connaissance des rapports de force. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 317-318


« Les éléments historiques ne fournissent ainsi pas de base solide à une théorie de l’hégémonie, qu’elle soit riche ou pauvre. Les obstacles à la résistance, qui sont nombreux, ne peuvent être attribués à l’incapacité des groupes subalternes à imaginer un ordre social alternatif. »

— James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance (1990), trad. Olivier Ruchet, éd. Éditions Amsterdam, 2019 (ISBN 9782354802011), p. 158


Citations sur James C. Scott

« Le texte public pourrait faire conclure que les groupes subordonnés avalisent les termes de leur domination, mais dans les situations de domination, la résistance a bien lieu en coulisse grâce à un “texte caché”, l’ensemble des discours et des pratiques qui prennent place en deçà de l’observation directe des dominants, contredisent ce qui transparaît dans le texte public, en des propos, des gestes et des pratiques qui confirment, contredisent ou infléchissent, hors de la scène, ce qui transparaît dans le texte public. Quand ce texte public est l’autoportrait des élites dominantes telles qu’elles aimeraient être vues, le texte caché s’exprime lorsqu’en coulisse les dominés peuvent se réunir à l’abri du regard inquisiteur du pouvoir. Les subalternes s’approprient la grammaire de la vie normale, en tant qu’elle leur permet d’intégrer positivement les normes de vie valorisée par une société. »

— Béatrice Mabilon-Bonfils, Le capital ethnique, contribution à une infra-politique des dominés (2021), éd. Téraèdre, 2021 (ISBN 9782360851126), p. 44


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