Différences entre les versions de « José Ortega y Gasset »
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− | « Pour la première fois, l'Européen, en se heurtant dans ses projets économiques, politiques, intellectuels, aux limites de sa nation, sent que ces projets - c'est-à-dire ses possibilités d e vie, son style vital - sont en disproportion avec le cadre du corps collectif dans lequel il est enfermé. Il a découvert alors qu'être anglais, allemand ou français, c'est être provincial. Il a donc découvert qu'il est moins qu'avant, puisque autrefois l'Anglais, le Français et l'Allemand croyaient, chacun de leur côté, qu'ils étaient l'univers. C'est là qu'il faut voir, à ce qu'il me semble, la véritable origine de cette impression de décadence qui afflige l'Européen. Il s'agit donc d'une origine purement intime et paradoxale, puisque la présomption d'avoir diminué naît précisément du fait que sa capacité s'est accrue et se heurte à une organisation vieillie, à l'intérieur de laquelle elle ne peut plus se développer à l'aise. [...] La véritable situation de l'Europe en arriverait donc à être celle-ci : son vaste et magnifique passé l'a fait parvenir à un nouveau stade de vie où tout s'est accru; mais en même temps, les structures survivantes de ce passé sont petites et paralysent son expansion actuelle. L'Europe s'est constituée sous forme de petites nations. En un certain sens, l'idée et les sentiments nationaux ont été son invention la plus caractéristique. Et maintenant elle se voit obligée de se dépasser elle-même. Tel est le schéma du drame énorme qui va se jouer dans les années à venir. Saura-t-elle se libérer de ses survivances ou en restera-t-elle prisonnière ? Car il est déjà arrivé une fois dans l'histoire qu'une grande civilisation est morte de n'avoir pu modifier son idée traditionnelle de l'État… » | + | « Pour la première fois, l'Européen, en se heurtant dans ses projets économiques, politiques, intellectuels, aux limites de sa nation, sent que ces projets - c'est-à-dire ses possibilités d e vie, son style vital - sont en disproportion avec le cadre du corps collectif dans lequel il est enfermé. Il a découvert alors qu'être anglais, allemand ou français, c'est être provincial. Il a donc découvert qu'il est moins qu'avant, puisque autrefois l'Anglais, le Français et l'Allemand croyaient, chacun de leur côté, qu'ils étaient l'univers. C'est là qu'il faut voir, à ce qu'il me semble, la véritable origine de cette impression de décadence qui afflige l'Européen. Il s'agit donc d'une origine purement intime et paradoxale, puisque la présomption d'avoir diminué naît précisément du fait que sa capacité s'est accrue et se heurte à une organisation vieillie, à l'intérieur de laquelle elle ne peut plus se développer à l'aise. [...] |
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== About José Ortega y Gasset == | == About José Ortega y Gasset == |
Version du 14 décembre 2015 à 22:23
Modernity
« Dans les chapitres précédents, j’ai tenté d’esquisser un nouveau type d’homme qui prédomine aujourd’hui dans le monde ; je l’ai appelé l’homme-masse, et j’ai fait remarquer que sa principale caractéristique consiste en ce que, se sachant vulgaire, il proclame le droit à la vulgarité, et se défend de se reconnaître des instances supérieures. »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. Louis Parrot, éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque classique de la liberté, 2010 (ISBN 9782251390512), p. 209
« L'homme masse actuel est en effet un primitif qui s'est glissé par les coulisses sur la vieille scène de la civilisation. »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. Louis Parrot, éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque classique de la liberté, 2010 (ISBN 9782251390512), pp. 157-158
« [...] le monde d’alors était si rudement organisé que les catastrophes y étaient fréquentes, et qu’il n’y avait en lui rien de sûr, rien d’abondant ni de stable. »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. de Bernard Dubant, éd. Le Labyrinthe, 1986, pp. 102-103
Les masses « se trouvent devant un paysage plein de possibilités et, de plus, sûr, tout préparé, tout à leur disposition, sans qu’il leur en coûte quelque effort préalable, de la même manière que nous trouvons le soleil sur les hauteurs, sans que nous ayons eu à le monter sur nos épaules. »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. de Bernard Dubant, éd. Le Labyrinthe, 1986, pp. 102-103
« Pour l’homme moyen du passé, vivre, c’était se heurter à un ensemble de difficultés, de dangers, de privations, en même temps que de limitations et de dépendances ; pour l’homme moyen actuel, le monde nouveau apparaît comme un champ de possibilités pratiquement illimitées, où l’on ne dépend de personne. C’est ce sentiment originel et permanent qui préside à la formation de chaque esprit contemporain, comme le sentiment opposé aidait à la formation des âmes d’autrefois. Car cette impression fondamentale se transforme en une voix intérieure, qui murmure sans cesse au plus profond de l’individu une manière de langage et, tenace, lui insinue une définition de la vie qui est, en même temps, un impératif. Si l’impression traditionnelle disait : "Vivre, c’est se sentir limité, et par cela même, avoir à compter avec ce qui nous limite.", la voie nouvelle crie : "Vivre, c’est ne se connaître aucune limite, c’est s’abandonner tranquillement à soi-même. Pratiquement rien n’est impossible, rien n’est dangereux ; en principe, nul n’est supérieur aux autres." »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. de Bernard Dubant, éd. Le Labyrinthe, 1986, pp. 105-106
« Nous distinguons l’homme d’élite de l’homme médiocre en affirmant que le premier exige beaucoup plus de lui même, tandis que le second, au contraire, toujours satisfait de lui, se contente d’être ce qu’il est. Contrairement à ce que l’on croit habituellement, c’est la créature d’élite et non la masse qui vit "essentiellement" dans la servitude. Sa vie lui paraît sans but s’il ne la consacre au service de quelque obligation supérieure. Aussi la nécessité de servir ne lui apparaît pas comme une oppression, mais au contraire, lorsque cette nécessité lui fait défaut, il se sent inquiet, et invente de nouvelles règles plus difficiles, plus exigeantes, qui l’oppriment. Telle est la vie-discipline, la vie noble. La noblesse se définit par l’exigence, par les obligations, et non par les droits. »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. de Bernard Dubant, éd. Le Labyrinthe, 1986, pp. 107-108
Revolution
« Trois siècles d’expérience "rationaliste" nous invitent impérieusement à méditer sur la splendeur et les bornes de cette prodigieuse "raison" cartésienne. C’est une "raison" exclusivement mathématique, physique, biologique. Ses triomphes fabuleux sur la nature dépassent tout ce que l’on pouvait rêver de plus grand. Ils n’en soulignent que mieux son échec en face des sujets proprement humains et la nécessité de l’intégrer dans une autre raison plus profonde et plus radicale qui est la "raison historique".
Cette raison historique nous révèle la vanité de toute révolution générale, de toute tentative pour transformer subitement une société et pour recommencer l’histoire – comme prétendaient le faire ces hommes de 89, nourris d’idées confuses. A la méthode de la révolution, elle oppose la seule méthode digne de la longue expérience que l’Européen a derrière lui. Les révolutions incontinentes, dans leur hâte hypocritement généreuse de proclamer de nouveaux droits, ont toujours violé, foulé, détruit le droit fondamental de l’homme – si fondamental qu’il est la définition même de sa substance – le droit à la continuité. »
- José Ortega y Gasset, La Révolte des masses (1929), trad. Louis Parrot, éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque classique de la liberté, 2010 (ISBN 9782251390512), pp. 76-77
Continents
« Pour la première fois, l'Européen, en se heurtant dans ses projets économiques, politiques, intellectuels, aux limites de sa nation, sent que ces projets - c'est-à-dire ses possibilités d e vie, son style vital - sont en disproportion avec le cadre du corps collectif dans lequel il est enfermé. Il a découvert alors qu'être anglais, allemand ou français, c'est être provincial. Il a donc découvert qu'il est moins qu'avant, puisque autrefois l'Anglais, le Français et l'Allemand croyaient, chacun de leur côté, qu'ils étaient l'univers. C'est là qu'il faut voir, à ce qu'il me semble, la véritable origine de cette impression de décadence qui afflige l'Européen. Il s'agit donc d'une origine purement intime et paradoxale, puisque la présomption d'avoir diminué naît précisément du fait que sa capacité s'est accrue et se heurte à une organisation vieillie, à l'intérieur de laquelle elle ne peut plus se développer à l'aise. [...]
La véritable situation de l'Europe en arriverait donc à être celle-ci : son vaste et magnifique passé l'a fait parvenir à un nouveau stade de vie où tout s'est accru; mais en même temps, les structures survivantes de ce passé sont petites et paralysent son expansion actuelle. L'Europe s'est constituée sous forme de petites nations. En un certain sens, l'idée et les sentiments nationaux ont été son invention la plus caractéristique. Et maintenant elle se voit obligée de se dépasser elle-même. Tel est le schéma du drame énorme qui va se jouer dans les années à venir. Saura-t-elle se libérer de ses survivances ou en restera-t-elle prisonnière ? Car il est déjà arrivé une fois dans l'histoire qu'une grande civilisation est morte de n'avoir pu modifier son idée traditionnelle de l'État… »
About José Ortega y Gasset
« Ecrivant à l’époque de la Révolution bolchévique et de la montée du fascisme, dans l’après-coup d’une guerre cataclysmique qui avait déchiré l’Europe, Ortega attribuait la crise de la culture occidentale à la "domination politique des masses". Aujourd’hui, ce sont toutefois les élites ceux qui contrôlent les flux internationaux d’argent et d’informations, qui président aux fondations philanthropiques et aux institutions d’enseignement supérieur, gèrent les instruments de la production culturelle et fixent ainsi les termes du débat public qui ont perdu foi dans les valeurs de l’Occident, ou ce qu’il en reste. »
- Christopher Lasch, La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, trad. Christian Fournier, éd. Castelnau-le-Lez, coll. Climats, 1996, p. 38
« Du point de vue d’Ortega, point de vue largement partagé à l’époque, la valeur des élites culturelles réside dans leur disposition à assumer la responsabilité de normes astreignantes sans lesquelles la civilisation est impossible. »
- Christopher Lasch, La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, trad. Christian Fournier, éd. Castelnau-le-Lez, coll. Climats, 1996, p. 38