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Robert Brasillach, Fresnes, 22 janvier 1945
L'an trente-cinq de mes années,
Ainsi que Villon prisonnier,
Comme Cervantès enchaîné,
Condamné comme André Chénier
Devant l'heure des destinées,
Comme d'autres en d'autres temps,
Sur ces feuilles mal griffonnées
Je commence mon testament.
Par arrêt, des biens d'ici-bas On veut me prendre l'héritage. C'est facile, je n'avais pas Terre ou argent dans mon partage. Et mes livres et mes images On peut les disperser aux vents La tendresse ni le courage Ne sont objets de jugement.
En premier mon âme est laissée A Dieu qui fut son Créateur, Ni sainte ni pure, je sais, Seulement celle d'un pécheur, Puissent dire les saints français, Qui sont ceux de la confiance, Qu'il ne lui arriva jamais De pécher contre l'espérance.
Quel don offrir à ma patrie Qui m'a rejeté d'elle-même? J'ai cru que je l'avais servie Même encore aujourd'hui je l'aime. Elle m'a donné mon pays Et la langue qui fut la mienne. Je ne puis lui léguer ici Que mon corps en terre inhumaine.
Et puis, je laisse mon amour, Et mon enfance avec mon coeur, Le souvenir des premiers jours, Le cristal, le plus pur bonheur, Ah ! je laisse tout ce que j'aime, Le premier baiser, la fraîcheur, Je laisse vraiment tout moi-même, Ou, s'il existe, le meilleur.
A toi, à la première image, Au sourire sur mon berceau, A la tendresse et au courage, A la féérie des jours si beaux. Soleil même dans les sanglots, Fierté aux temps les plus méchants, Pour qui rien ne change à nouveau L'âge qu'a toujours ton enfant.
Et pour toi, ma soeur, mon amie, (J'ai passé, ah ! si peu de temps Loin de toi, toute notre vie Nos coeurs du même battement Ont battu). Ce que je laisse C'est nos greniers des vieux printemps, C'est les jeux de notre jeunesse, Nos promenades d'étudiants.
C'est parmi la neige glacée, La gaieté qui restait la tienne, Le sourire que tu faisais Par delà les grilles lointaines, Toi si fière, ô toi indomptée, Rieuse parmi les déveines, Mon amie de tous nos étés, Ma soeur des joies comme des peines.
A toi encor que j'ai vu naître, Comme une enfant de mes douze ans, Petite soeur, à la fenêtre Tu vins aussi aux jours pesants. A toi tout ce qui nous assemble, Le mépris des coeurs trop fuyants, Le silence qui nous ressemble, Et l'amour qui n'est pas bruyant.
Petits enfants de ma maison, O vous qui ne m'oublierez pas, (Et peut-être d'autres viendront) Vous m'avez donné ici-bas Vos joues, l'étreinte de vos bras, Votre sommeil sur qui je veille : Je vous appelle ici tout bas, Je vous rends toutes ces merveilles.
Et maintenant, à toi, Maurice A toi, frère de ma jeunesse, Que te donnerai-je qui puisse N'être à toi de ce que je laisse ? Voici Paris qui fut à nous, Voici Florence qui se dresse, Et, sur les chemins secs et roux, Voici notre Espagne sans cesse.
Mais voici surtout, ô mon frère, Le coeur de notre adolescence Nul hasard ne le désespère, A tout il garde confiance. Au destin même bien masqué Nous disions oui d'une voix claire, Quel qu'il fût. Et rien n'a manqué Aux cadeaux qu'il pouvait nous faire.
Bien ou mal, acceptons le lot ! Je le lui rends, tout pêle-mêle. Mais je te laisse le plus beau, Nos dix-sept ans, l'aube nouvelle, La couleur du matin profond, Nos années pareilles et belles, Les enfants dans notre maison, Et notre jeunesse immortelle.
Et puis, voici, pour mes amis, Chacun leur carte-souvenir. Vous d'hier, et vous d'aujourd'hui, Vous m'entourez sans vous enfuir, Vous allumez sur mon passage Le plus beau feu de l'avenir. Je tends mes mains à vos images, Elles me gardent de frémir.
Cher José, voici la Cité, Et la Cour de Louis-le-Grand. Georges, pour un futur été, Voici la route dans les champs. Henri, voici les quais de Seine, Et les livres à feuilleter, Et le pays de la Sirène Que nous aurions dû visiter.
Voici les Noëls de Vendôme, Notre-Dame des pèlerins. Le passé fut si beau en somme Qu'il ne faut blâmer le destin. Jusqu'au bout de nos années d'homme Nous aurons gardé le meilleur, Le savoir de ce que nous sommes, La jeunesse de notre coeur.
Et pour toi, depuis si longtemps De l'adolescence surgie, Je n'ai que d'étranges présents A te laisser, ô mon amie : Moins de joie, c'est sûr, que de peines, L'asile où j'abritais ma vie Au coeur des mauvaises semaines, Et ce qui jamais ne s'oublie.
Pour vous, les frères de la guerre, Les compagnons des barbelés, Fidèles dans toutes misères, Vous ne cessez de me parler. Voici nos neiges sur le camp, Voici nos espoirs d'exilés, Notre attente de si longtemps, Notre foi que rien n'a troublée.
Et vous, garçons de mon pays, Voici les mots que nous disions, Nos feux de camp parmi la nuit, Et nos tentes dans les buissons. Vous le savez mieux que personne, J'ai voulu garder ma patrie Du sang versé, et je vous donne Ce sang gardé, ô mes amis.
Cher Well, notre sainte colline, Le petit peuple du marché, Le rue grouillante où l'on chemine, Les charrettes des maraîchers, Ils sont à toi, ami têtu, Qui dans l'ombre toujours devines Ce que l'espoir jamais battuMalgré l'apparence dessine.
Et pour vous les derniers venus, Compagnons des sombres journées, O captifs des cachots reclus, Gardez mes heures condamnées, Gardez le froid, gardez l'ennui : Pour ceux qui ne les auraient plus, Ce sont des trésors eux aussi. Avec vous je les ai connus.
Quelques ombres, quelques visages Ont droit encore à quelques grains Finissons vite le partage Avant que vienne le destin. Tous ceux-là qui, garçons ou filles, Sont venus couper mon chemin Peuvent bien dans la nuit qui brille Attendre avec moi le matin.
Pour eux tous j'avais les mains pleines Elles sont vides maintenant Des images les plus lointaines, Du passé le plus émouvant. Je ne garde pour emporter Au-delà des terres humaines Loin des plaisirs de mes étés, Des amitiés qui furent miennes,
Que ce qu'on ne peut m'enlever, L'amour et le goût de la terre, Le nom de ceux dont je rêvais Au coeur de mes nuits de misère, Les années de tous mes bonheurs La confiance de mes frères, Et la pensée de mon honneur Et le visage de ma mère.